Livraison de repas aux particuliers : Just Eat change de modèle et passe au salariat

Francine Aizicovici

La société ne recrute que des livreurs salariés et procédera à 4 500 embauches d'ici à fin 2021

Petite révolution dans le monde de la livraison de repas aux particuliers depuis que Just East a annoncé, fin janvier, le recrutement en contrat de travail à durée indéterminée (CDI) de 4 500 livreurs d'ici à fin 2021. Quand la quasi-totalité des autres plates-formes ne font appel qu'à des autoentrepreneurs aux conditions très précaires, la société britannique, rachetée en 2019 par le néerlandais Takeaway.com, entend proposer « une solution autre de livraison, plus responsable ».

« Tous les livreurs sont payés à l'heure et non à la course, qu'ils soient sur le terrain ou non, ce qui leur assure une garantie de revenus quelle que soit leur activité journalière », souligne l'entreprise. « Just Eat se positionne en chevalier blanc, observe Jérôme Pimot, cofondateur du Collectif des livreurs autonomes de Paris. Mais, à moyen ou long terme, on risque de se retrouver avec une minorité à temps plein et des tas de petits contrats, voire de l'intérim, parce qu'il faudra quand même de la flexibilité » pour s'adapter à la demande.

Just Eat affirme avoir reçu 20 000 candidatures à Paris, où les recrutements ont débuté en novembre 2020, et 1 000 à Lyon, où elle est opérationnelle depuis le 17 février 2021. Au total, plus de 700 personnes ont été embauchées, selon la société. Plutôt que d'être autoentrepreneur, « avoir un CDI en 2021, c'est intéressant, ne serait-ce que pour trouver un logement, par exemple », note Ludovic Rioux, qui vient de décrocher un contrat de dix heures par semaine à Lyon. Membre du collectif national CGT des livreurs, il relève que l'entreprise « prétend respecter le code du travail, ce qui est déjà un point ». «On sera vigilants sur son application. »

Au Syndicat national des transports légers (employeurs), Antoine Cardon, délégué général, se dit «ravi» : « Cela fait longtemps que nous dénonçons le modèle des plates-formes de livraison avec des autoentrepreneurs. II crée une concurrence déloyale vis-à-vis de nos adhérents, qui, eux, ont des livreurs salariés à 99 %. » Just Eat, qui dépend de la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires, recrute en CDI « temps plein » (soit trente-cinq heures par semaine) ainsi qu'en en CDI « temps partiel » pour le week-end (à partir de dix heures de travail par semaine).

Alors comment la société s'organise-t-elle pour avoir la flexibilité requise ? Elle insiste sur le fait que les livraisons sont organisées en fonction « des disponibilités des livreurs ». Ces derniers communiquent à Just Eat, entre cinq et dix jours à l'avance, les plages horaires lors desquelles ils sont libres pour travailler — le total de ces dernières se montant par exemple à quinze heures, en regard d'un contrat de dix heures. L'algorithme fait le reste. « Pour le moment, le système fonctionne très bien, estime l'employeur, qui reste prudent. Nous étudions la possibilité de préciser quelques horaires obligatoires (..) afin que notre système puisse absorber les pics d'activité potentiels. »

Recours aux primes

Que se passe-t-il entre les deux créneaux de livraison, celui du déjeuner et celui du dîner ? La réglementation dispose qu'il ne peut y avoir d'interruption d'activité supérieure à deux heures au cours d'une journée de travail. Si elle est supérieure, un accord d'entreprise doit définir les amplitudes horaires maximales d'activité des salariés et anticiper des contreparties à une telle coupure. Légalement, les modifications de planning doivent être transmises au salarié au moins sept jours à l'avance, sauf si un accord prévoit une autre durée, de trois jours au minimum.

Chez Just Eat, qui ne dispose pas encore d’instances représentatives du personnel, un référendum a donc été organisé pour fixer ces dérogations. Il prévoit, selon la direction, que « le salarié soit prévenu de ses horaires de travail le vendredi pour la semaine suivante ». Quant aux coupures, elles peuvent « atteindre un plafond de quatre heures par jour », indique Just Eat : «En cas de dépassement des deux heures, ce temps supplémentaire se transforme automatiquement en repos [rémunéré]. »

Est-ce la meilleure solution pour les livreurs ? Just Eat fait savoir que cette consultation a été menée, au démarrage de l'activité, « auprès des dix premiers salariés, afin de pouvoir proposer des conditions de travail adaptées à l'activité » dès l'embauche des premiers livreurs. Ces dix salariés étant des employés de bureau, ils ne se trouvaient de fait pas concernés par de telles dispositions. Mais cela pourra « bien entendu » être modifié « ultérieurement par nos livreurs salariés et leurs syndicats représentatifs », assure l'entreprise.

De plus, les livreurs, rémunérés 10,30 euros brut de l'heure (soit 5 centimes de plus que le smic horaire brut), ne sont pas uniquement payés de la sorte. Just Eat impose « un nombre de quatre courses maximum par heure » pour éviter qu'ils ne travaillent « dans l'urgence » afin de gagner plus. L'entreprise de livraison recourt aussi aux primes : 0,25 euro brut par course, et 0,50 euro au-delà de la 250e dans le mois.