Poursuivi pour injure raciale, l'écrivain Renaud Camus est relaxé

Franck Johannès

Le défenseur de la théorie du « grand remplacement » était jugé pour un tweet sur les Africains, assimilés à des migrants, des assistés, des délinquants et des pollueurs


Renaud Camus avait estimé que ce n'était « qu'une plaisanterie ». Le militant de la théorie d'extrême droite du « grand remplacement » - le remplacement programmé des populations occidentales par l'immigration de populations étrangères venues principalement d'Afrique

noire et du Maghreb - était jugé mercredi 10 février pour un tweet qui, il l'assurait, n'avait « aucun caractère injurieux », juste une « dimension humoristique et caricaturale ». Le tribunal de Paris lui a donné raison, en dépit de son « manque d'empathie » mais au nom de la liberté d'expression, et a débouté les cinq associations antiracistes parties civiles, qui poursuivaient l'écrivain de 74 ans pour « injure publique en raison de l'origine, l'ethnie, la nation, la race ou la religion ».

Il avait publié sur Twitter, le 18 avril 2019, un message douteux : « Une boîte de préservatifs offerte en Afrique, c'est trois noyés de moins en Méditerranée, cent mille euros d'économies pour la CAF [Caisse d'allocations familiales], deux cellules de prison libérées et trois centimètres de banquise préservée. » Le parquet avait estimé à l'audience, le 25 novembre 2019, que les Africains étaient ainsi assimilés à des migrants, des assistées, des délinquants, des pollueurs, « ce qui les chosifiaient selon un procédé éprouvé d'une rhétorique raciste » à travers des propos totalement dépourvus d'humour et méprisants. La procureure avait réclamé quatre mois d'emprisonnement avec sursis et une amende de 5 000 euros.

« Style acide et décalé, voire cru »

Le tribunal a, lui, estimé au contraire qu'a aucun sens ni aucune portée ségrégationniste, discriminatoire, raciste ou" raciale" ne ressortent du propos incriminé ». Les juges rappellent dans un long développement que la liberté d'expression « vaut aussi pour les idées qui heurtent, choquent ou inquiètent l'État ou une fraction quelconque de la population ».

Ils considèrent ainsi «quels  caricature, la satire et la parodie, même délibérément provocantes et grossières, participent de la liberté d'expression (...) par une forme de commentaire social lequel, de par l'exagération et la déformation de la réalité qui le caractérise, vise naturellement à provoquer ». Le jugement admet que le tweet est bien dirigé envers un groupe de personnes à raison de son origine, ou de son appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion, mais «pour avoir une origine géographique commune, le groupe des personnes visées par leur seule origine africaine n'est pas considéré en l'espèce à raison de l'essence des personnes qui s'y rattachent », et Renaud Camus n'impute à ce groupe « aucun fait précis susceptible d'un débat sur la preuve de sa vérité ».

«Force est de constater que le propos s'insère dans un débat d'intérêt général relatif à la décroissance démographique, assure le tribunal, et aux effets pervers d'ordre humain, sociologique, économique et écologique d'un système ne contrôlant ni les naissances ni les flux migratoires, mettant l'accent, de façon polémique, sur le continent africain dont la croissance démographique est un fait. » La polémique est pour les magistrats d'ailleurs soulevée par « un écrivain provocateur, sur le ton de l'ironie et sous forme caricaturale », qui prend « des positions politiques » sur un mode qu'il qualifie d'humoristique.

Le tribunal admet que « face à des drames humains et des situations de précarité », les propos «peuvent choquer, et heurter la délicatesse mais ils participent du style acide et décalé, voire cru, de l'écrivain. Ce style et ces images relèvent du choix du mode humoristique pour traiter par l'absurde d'un sujet politique, et dramatique, dans le cadre d'un tweet propice à une concentration du propos autour de formules choc ».

Le message de Renaud Camus, conclut le tribunal, « ne justifie dès lors pas, dans une société démocratique, une limitation du libre exercice de la liberté d'expression, laquelle doit être d'interprétation stricte, et dont les limites admissibles n'ont pas en l'espèce été dépassées, par la critique satirique d'un système de croissance et de certaines de ses conséquences ».

Le Monde 20210212