Le système suédois des retraites essuie de vives critiques
Anne-Françoise Hivert
Le Monde 18/02/2021
Depuis la réforme de 1994, érigée comme modèle en France, le montant des pensions du régime général a baissé
MALMÔ (SUÈDE) - correspondante régionale
L |
e froid glacial de ce début d'année et la pandémie de coronavirus ont eu raison de leur détermination. Mais les militantes de l'association Tantpatrullen - « la patrouille des bonnes femmes », en français - l'assurent : dès que les beaux jours reviendront, elles manifesteront de |
nouveau, tous les jeudis matin, devant le Parlement, à Stockholm, comme elles le font depuis cinq ans, pour exiger une réforme du système des retraites.
Fin janvier, l'Institut suédois de la statistique (SCB) a publié ses derniers chiffres sur l'évolution des revenus dans le pays. Pour la première fois, plus de 15 % des Suédois se retrouvent au-dessous du seuil de pauvreté, avec des ressources inférieures à 60 % du revenu médian. Un groupe en particulier se distingue : les femmes seules de plus de 8o ans, dont désormais 42 % ont basculé dans la pauvreté.
Les statistiques couvraient l'année 2019. Depuis, la situation ne s'est pas améliorée, selon l'énergique septuagénaire Birgitta Sevefjord, cofondatrice de Tantpatrullen. Elle blâme le système des retraites, érigé comme modèle en France, dont elle affirme qu'il est sous-financé et inégalitaire : « C'est un système qui privilégie les hommes, en bonne santé, éduqués, ayant de hauts salaires et capables de travailler pendant au moins quarante ans. »
La réforme date de 1994. La Suède passe d'un système par répartition, où le niveau des pensions est indexé sur les quinze meilleures années, à un régime universel, où chaque couronne cotisée ouvre les mêmes droits. L'âge légal de départ à la retraite a été supprimé : en théorie, les Suédois peuvent arrêter de travailler à partir de 61 ans, même s'ils ne peuvent toucher le niveau minimum garanti et certaines aides au logement qu'à partir de 65 ans.
« Quand le système a été mis en place, le législateur pensait que les Suédois décideraient de travailler plus longtemps pour accroître leur pension et améliorer leur situation financière », explique Ole Settergren, analyste en chef à Pensionsmyndigheten, l'Agence des retraites. Force est de constater que cela n'a pas fonctionné : trente ans plus tard, les Suédois partent toujours à 64,5 ans.
Sauf que, entre-temps, l'espérance de vie a augmenté plus rapidement que prévu. Résultat : «le capital amassé doit être partagé sur plus d'années », résume Hakan Svardman, chargé de la politique sociale auprès de Forena, le syndicat des salariés de la finance et des assurances, qui a publié un rapport sur l'évolution des retraites. Hakan Svardman rappelle qu'en 1994 on avait promis aux Suédois un système « aussi généreux, ou plus, que le précédent ». Mais, alors que le niveau des pensions, dépendant du régime général, représentait, à l'époque, 61 % du salaire de fin de carrière, il est tombé à 47 % pour les personnes nées en 1952. Cette baisse est compensée par la part croissante de la pension professionnelle, financée par l'employeur et régulée par les accords collectifs, qui permet aux Suédois de percevoir, en moyenne, 76 % de ce qu'ils gagnaient avant de quitter leur emploi (contre 86 % en 2003).
Du moins pour ceux qui bénéficient de cette pension « complémentaire ». Car si 90 % des salariés y ont droit, environ 450 000 - comme les autoentrepreneurs - en sont dépourvus. Par ailleurs, les employés à temps partiel - très majoritairement des femmes - n'en touchent qu'une partie. Et c'est sans compter les différences, en fonction des accords collectifs, qui déterminent le niveau des cotisations patronales.
Dans ce système, les femmes sont les grandes perdantes, affirme Birgitta Sveflord : «Elles travaillent dans des professions moins bien rémunérées que celles des hommes et s'arrêtent plus souvent pour s'occuper d'un parent ou d'un enfant malade. Elles sont aussi majoritaires dans des professions telles
que les soins aux personnes âgées, où il est souvent difficile, physiquement et psychologiquement, de continuer à travailler au-delà de 65 ans. »
Des partis politiques divisés
Selon le bureau des statistiques, les Suédoises pouvaient compter, en 2019, sur une pension moyenne de 12 500 couronnes (125o euros), contre 17 000 couronnes pour les hommes, soit 27 % de moins. Or, constate Christina Tallberg, présidente de l'association des retraités PRO, « beaucoup de ces femmes vivent en couple avec des hommes, parfois plus âgés qu'elles, et se retrouvent, à leur mort, dans une très grande précarité ».
De nombreuses organisations en Suède plaident pour augmenter les cotisations du système des retraites. Début février, le ministre de la sécurité sociale, Ardalan Shekarabi, a reconnu qu'a il n'était pas prévu que les pensions soient si basses (...), quand le système a été mis en place dans les années 1990 ». Mais les partis politiques sont divisés sur la marche à suivre.
En attendant, le gouvernement, composé des Verts et des sociaux-démocrates, a annoncé, en septembre zozo, qu'il allait verser jusqu'à 600 couronnes brut par mois aux retraités. Surprise : ceux-ci
viennent de découvrir qu'ils ne toucheraient pas ce bonus avant septembre 2021, et qu'il ne serait alloué dans son intégralité qu'aux personnes touchant 11000 à 14 000 couronnes par mois. Une bonne partie des retraités devra se contenter de quelques dizaines de couronnes.
A Pensionsmyndigheten, Ole Settergren y voit, lui, une «remise en question fondamentale du système de retraite suédois », dont il rappelle qu'il était conçu pour être totalement indépendant du budget de l'Etat. Pour lui, une seule solution : « Les Suédois doivent travailler plus longtemps. »