La maire de Paris, Anne Hidalgo, lance un audit sur le chantier de l'école des Nobel

Denis Cosnard

La reconstruction de l'école risque de coûter 40 millions d'euros de plus que prévu

C'est un dossier délicat sur le bureau d'Anne Hidalgo. Régulièrement accusée de mal gérer les travaux dans la capitale et de laisser les finances municipales dériver, la maire de Paris cherche comment sortir au mieux d'une affaire où les deux critiques risquent de se conjuguer : la reconstruction de la prestigieuse Ecole supérieure de physique et de chimie industrielles (ESPCI), l'école des Nobel, dans le 5e arrondissement. Un chantier emblématique qui a dérapé financièrement, alors que la Ville de Paris est propriétaire de l'école et pilote le projet.

La mairie a confié début mars une mission d'audit et de conseil à un expert de renom, Jean-Pierre Weiss. Ce polytechnicien, ancien directeur du patrimoine au ministère de la culture, avait déjà été choisi par l'Etat en 2016 pour analyser le dérapage de la rénovation engagée à la Maison de la radio. Sa mission, cette fois-ci, consiste à la fois à « comprendre la cause » du glissement financier, « étudier les différents scénarios » possibles pour la fin du chantier, et à « s'assurer qu'il n'y aura pas de nouveaux dépassements », indique-t-on à la mairie. Il doit se faire assister d'un économiste des coûts de la construction. Les résultats de la mission sont attendus fin avril.

En 2015, lorsque le conseil de Paris vote les travaux d'un montant de 176 millions d'euros, payé à 8o % par la Ville, certains jugent déjà le projet «pharaonique ». Mais l'aura de l'ESPCI emporte la décision. «L'enjeu, c'est la recherche française, s'exclame Anne Démians, l'architecte retenue. On a entre les mains la destinée d'une très grande école. » Pas moins de six Prix Nobel y ont oeuvré : Pierre et Marie Curie en tout premier lieu, mais aussi Irène et Frédéric Joliot-Curie, Pierre-Gilles de Gennes et Georges Charpak.

Depuis sa création par la Ville en 1882, l'école de la montagne Sainte-Geneviève a fatalement vieilli. Certains locaux sont jugés vétustes, ou inadaptés aux activités scientifiques modernes. Avec ses bâtiments construits entre 1870 et 1970, l'ensemble manque de cohérence architecturale.

Plutôt que de réhabiliter simplement les lieux les plus problématiques, le choix est fait de tout détruire et de tout reconstruire, ou presque. De l'école historique ne doivent rester pour l'essentiel qu'une façade et les murs en brique qui font le tour du pâté de maisons, décorés de céramiques des années 1930. Afin que l'ESPCI puisse fonctionner, les travaux sont découpés en deux tranches : d'abord le coeur de l'îlot, puis les bâtiments situés autour. En principe, tout doit alors être achevé en 2022.

Seulement voilà : compte tenu des enjeux techniques, scientifiques, politiques, financiers, les études préalables demandent plus de temps que prévu. «On a pris deux ans de retard durant cette phase, raconte l'architecte Anne Démians. Si bien que l'appel d'offres a été lancé au pire moment, à une époque où le marché du bâtiment était en pleine surchauffe en raison de tous les travaux prévus pour les Jeux olympiques de 2024. » A l'ouverture des enveloppes, les responsables de la mairie s'étranglent. La facture dépasse de près de 40 millions d'euros les 176 millions anticipés. Soit un surcoût d'environ 23 %.

« Il y aura une phase 2 »

Les experts de la Ville jugent impossible de réaliser des économies sur la première phase des travaux. Au printemps 2020, « pour ne pas faire prendre un lourd retard opérationnel au chantier », la mairie autorise donc l'ESPCI à démarrer les travaux. Le candidat le mieux-disant des trois, Dumez (groupe Vinci), commence à détruire les vieux laboratoires. En parallèle, la Ville demande à l'architecte « de retravailler une phase 2 plus sobre, en envisageant par exemple une réhabilitation plutôt qu'une démolition ». «J'ai réétudié la possibilité de conserver les bâtiments, mais je crains que ce ne soit pas la bonne solution, indique à présent Anne Démians. On peut sans doute réduire autrement la voilure de la phase 2. » Peut-être en se passant d'un des nouveaux bâtiments prévus, par exemple.

Toutes ces interrogations suscitent l'inquiétude de Florence Berthout, la maire (La République en marche) du 5e arrondissement. Elle redoute que, faute d'argent, la mairie ne se limite à la phase 1 des travaux. « Cette option serait pourtant une aberration architecturale, fonctionnelle et économique », met-elle en garde dans un courrier adressé le 10 mars 2021 à Marie-Christine Lemardeley, l'adjointe d'Anne Hidalgo qui préside l'ESPCI et qui fut sa concurrente aux élections municipales. «Il y aura bien une phase 2, répond Mme Lemardeley. Nous voulons simplement voir où il est possible de réaliser des économies tout en respectant les ambitions initiales du projet. Au bout du compte, l'école bénéficiera d'une augmentation des surfaces, mais peut-être moindre que prévu. »

L'adjointe ne désespère pas non plus de trouver des fonds supplémentaires. « L'ESPCI n'est pas une petite école municipale, la Ville ne devrait pas être seule ou presque à financer ce projet ! », estime-t-elle. Pour l'heure, l'Etat et la région Ile-de-France n'ont pas accepté d'intégrer ce chantier parmi ceux soutenus dans le cadre du plan de relance.