Audrey Pulvar et les exclus des réunions non-mixtes

Avant de se demander si «Pyramide» est un jeu raciste, la mobilisation médiatique concernait ces hommes blancs, discriminés par milliers, restés à la porte de réunions qui leur sont interdites. Mais où donc se cachent-ils ?

 

par Daniel Schneidermann

 

publié le 4 avril 2021

 

Il existe sûrement quelque part des personnages mystérieux, qu’aucun investigateur de presse n’a encore réussi à rencontrer : les hommes qui veulent absolument assister à un groupe non-mixte de femmes victimes de violences sexuelles, et qui n’ont toujours pas compris pourquoi ils restent à la porte. Ces parias existent certainement. Il faut les imaginer, devant la porte, tendant l’oreille aux rumeurs de la réunion, tout débordants des mots de solidarité et de compassion à l’égard des participantes, brûlant de leur préciser que non, on n’est pas tous comme ça, qu’eux-mêmes personnellement, jamais au grand jamais, n’ont violenté une femme. Ils sont là, devant la porte. Ils se sont munis de sandwiches, d’une bouteille d’eau. Ils se répètent leur texte, dans leur tête. Peut-être ont-ils fait la connaissance de leurs semblables, les hommes blancs qui brûlent de participer à des réunions de racisés, pour les assurer de leur solidarité personnelle d’hommes blancs, contre les contrôles au faciès. Sans doute ces deux tribus doivent-elles aussi connaître les interlocuteurs mystérieux qui ont glissé à Emmanuel Macron qu’ils étaient favorables au retour des attestations dérogatoires, et dont le Président a parlé à la télé.

Pourquoi ces hommes s’obstinent-ils ? S’ils sont si attirés par les groupes non-mixtes, pourquoi n’ont-ils pas encore eux-mêmes créé un groupe non-mixte d’hommes discriminés par les groupes non-mixtes ? Et pourquoi se cachent-ils ? Pourquoi n’ont-ils pas encore déboulé en masse devant les caméras de CNews, de BFM, de LCI, pour proclamer «c’est nous» ! C’est nous les victimes des woke ! C’est nous les discriminés ! Ces hommes ne sont pourtant pas seuls. Ils n’ont même jamais été aussi entourés. C’est bien simple, il n’est question que d’eux. Voici quinze jours encore, on n’en avait que pour les bataillons d’universitaires bâillonnés par les islamo-gauchistes. Là, c’est à eux. Manuel Valls a rappliqué de Barcelone pour défendre leur cause. Pascal Praud tient quotidiennement le calendrier de leurs jours de pied de grue, devant la porte. Si Sonia Mabrouk pouvait défoncer la porte à coups de tatanes, il n’y aurait plus de porte depuis longtemps. Jean-Michel Blanquer est allé au tribunal pour leur permettre d’entrer dans les réunions non-mixtes d’enseignants – il a malheureusement perdu. C’est pour défendre leurs droits, qu’Anne Hidalgo s’est fâchée avec Audrey Pulvar. S’ils n’étaient pas des centaines, des milliers de discriminés de la porte fermée, des personnes aussi occupées à des choses aussi sérieuses ne mobiliseraient pas pour eux, en période de pandémie, autant de médias nationaux. Où donc se cachent-ils ?

Ah, Pulvar, parlons-en ! L’armée des indésirables a bien cru, l’autre semaine, avoir trouvé une amie, une vraie, en la personne de la candidate aux élections régionales d’Ile-de-France. Audrey Pulvar était l’invitée sur BFMTV d’Apolline de Malherbe – une autre amie de confiance. Bien entendu, Malherbe a plaidé leur cause : et vous, Audrey Pulvar, vous les laisseriez rentrer ? Forcément, la France entière brûlait de savoir.

Audrey Pulvar fut très ferme. Elle déteste laisser des gens à la porte, ça oui. A la limite, elle peut supporter les réunions «réservées à», mais certainement pas les réunions «interdites à». Il fallait voir leur joie ! Enfin, c’était arrivé ! Audrey Pulvar (une femme noire, et vraiment de gauche, le cœur du cœur des groupes non-mixtes) était de leur côté. Déjà, ils voyaient s’ouvrir la porte mystérieuse, derrière laquelle se déploie, somptueuse et maudite, mais si fragile sans leur soutien, la mystérieuse parole des dominé·e·s. Et patatras, Audrey Pulvar a ajouté : à condition qu’ils se taisent. Mais justement, Audrey, s’exclama d’une seule voix la foule des exclus, ils ne veulent pas se taire ! Ils veulent par-ler ! Ils veulent qu’éclate enfin leur solidarité d’hommes blancs victimes de rien du tout.

Dans la tempête, Audrey Pulvar se rétracta. Non, elle n’avait jamais dit qu’ils devaient «se taire». Ils devaient, nuance, laisser parler les autres «dans une écoute bienveillante». Ensuite (mais quand ?) viendrait enfin leur droit de parler à leur tour. Les indésirables ne surent pas vraiment s’ils avaient gagné la partie. De toute façon, ils étaient retombés dans leur obscurité. Le projecteur s’était détourné de leur juste cause, pour se demander si le jeu Pyramide, dans les années 90, était vraiment raciste, ou si c’était pour de rire.

Chronique «Médiatiques»

© Libé 2021

 

 

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