La dépendance liée au grand âge: un choix de société

La publication de l’enquête Les Fossoyeurs, dans laquelle le journaliste Victor Castanet dénonce d’importants dysfonctionnements dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) du groupe Orpea a provoqué un vif émoi. A raison. Les accusations sont graves et les faits rapportés particulièrement sordides.

Le livre décrit un système implacable dans lequel les soins d’hygiène, la prise en charge médicale, voire les repas des résidents seraient « rationnés » pour gonfler la rentabilité d’Orpea, une entreprise leader de son secteur et cotée à la Bourse de Paris. Les manquements révélés par le journaliste se limitent-ils à un « souci d’organisation », comme l’avance la direction, ou bien font-ils partie intégrante d’un modèle économique dévoyé au détriment du bien-être, de la santé, voire de la vie des résidents, comme le livre le donne à penser? Il est encore trop tôt pour trancher.

A ce stade, il faut se méfier des généralités : beaucoup d’Ehpad, malgré des moyens insuffisants, continuent de remplir une mission difficile mais indispensable à la société. Reste que le nombre de familles qui ont été ou qui sont confrontées au sujet de la maltraitance en maison de retraite doit nous alerter sur les dysfonctionnements du système.

 L’un d’eux concerne le rôle joué par le secteur privé. Faute de financements publics suffisants, l’activité a dû s’ouvrir à un certain nombre d’entreprises. Elles ont certes permis de développer des capacités d’accueil pour accompagner le vieillissement de la population, mais beaucoup d’investissements ont été réalisés dans une logique purement financière. Aujourd’hui en pleine expansion, le secteur privé lucratif propose en moyenne des tarifs plus élevés de 40 % que le public,  avec 10 % à 15 % de personnel en moins. Or il est évident que le bien-être des résidents est proportionnel à la densité de l’encadrement.  

Ensuite, chaque établissement, quel que soit son statut, touche le même montant de financement public par les agences régionales de santé (ARS) et les départements, l’hébergement étant à la charge des résidents. C’est sur ce poste que le secteur privé assure sa rentabilité, sans proposer pour autant de meilleures prestations. Le modèle économique reste focalisé sur l’immobilier, moins sur les besoins des personnes âgées. Les financements publics ont théoriquement une contrepartie : le contrôle régulier des établissements par les ARS. Dans la pratique, selon le livre, ces contrôles sont trop laxistes et aléatoires pour empêcher les abus.

 Depuis des années, la dépendance attend sa loi de financement. Malgré quelques avancées comme des revalorisations salariales, des créations de postes et de nouveaux investissements, le pouvoir actuel n’a pas dérogé à cette procrastination sur le plan législatif. Pourtant, les projections démographiques montrent que le besoin d’ouverture de places en Ehpad va s’accélérer.

Deux choix sont possibles. Soit une prise en charge collective qui permettra d’alléger le fardeau financier pour les familles tout en garantissant de meilleures prestations – la limite politique de cette solution est qu’elle implique une augmentation des prélèvements sociaux –, soit continuer à déléguer la mission à un secteur privé lucratif, plus cher que le public mais incapable de garantir de meilleures prestations, le tout financé en grande partie par des fonds publics qui restent mal contrôlés. Il n’est pas trop tard pour que la question du grand âge s’invite dans la campagne présidentielle.