Investir dans des chambres, un placement discutable Véronique Chocron

Ces produits, dont le taux de rendement peut atteindre 6 %, participent à la pression ~nancière qui pèse sur les résidents et sur le personnel des maisons de retraite

Investir dans la vieillesse en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) est devenu un marché florissant et lucratif. Sur Internet, d’innombrables publicités promettent des rendements élevés (de 4 % à 6 %) pour l’achat d’une chambre en maison de retraite médicalisée privée, dont ils percevront des loyers. Les investisseurs peuvent aussi acquérir des parts de sociétés civiles de placement immobilier (SCPI) ayant en portefeuille un parc de maisons de retraite.

« Ça marche très fort, nous avons collecté 780 millions d’euros en 2021, contre 500 millions d’euros un an plus tôt. Le Covid a encore renforcé ce marché », dit Thierry Scheur chez Euryale, qui gère une de ces SCPI, Pierval Santé, à la tête de quatre-vingt-sept Ehpad. « Je reprends la propriété des murs, et les exploitants des établissements médicalisés me versent un loyer», explique M. Scheur. En achetant des parts, les investisseurs ont obtenu, en 2021, un rendement de 4,8 %. Même constat du côté de Sacha Rubinski, président de Blue Bear Capital, qui vend lui aussi les murs des Ehpad à de gros investisseurs: « C’est un secteur très attractif: le taux d’occupation des Ehpad approche les 100 %, car l’offre est calée sur la demande par les pouvoirs publics en fonction de la pyramide des âges, c’est une sécurité très forte. »

Pour les conseillers financiers, l’investissement locatif en chambres d’Ehpad est en outre un marché d’avenir. Selon les dernières projections de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, 108 000 seniors de plus seraient attendus en Ehpad d’ici à 2030, ce qui supposerait de doubler dans la durée le rythme d’ouverture de places observé depuis 2012. « Ces placements permettent de financer les maisons de retraite privées et sont assortis d’avantages fiscaux pour inciter les particuliers à investir. C’est une façon de faire rentrer de l’argent privé pour des biens que l’Etat ne parvient pas à financer», avance Cyrille Chartier-Kastler, fondateur de Facts & Figures, un cabinet de conseil en stratégie spécialisé dans la protection sociale.

« Lien avec les tarifs »

Ce modèle d’affaires soulève quelques questions. « Le rendement servi aux investisseurs pour ces investissements locatifs a un lien avec les tarifs que paient les résidents pour leur hébergement en Ehpad », souligne l’associé d’un cabinet de conseil accompagnant les Ehpad dans leur pilotage financier, souhaitant rester anonyme. Selon des chiffres publiés en 2019 par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, le coût médian d’une place en Ehpad atteignait 1 884 euros par mois dans le secteur public, contre 2 657 d’euros dans le privé commercial. La pension moyenne nette des retraités avoisinait, en 2019, les 1 400 euros.

Pour Annie de Vivie, fondatrice d’Agevillage.com, à destination des personnes âgées et des aidants, « ces gros rendements promis aux épargnants contribuent à la pression sur la gestion des Ehpad et rejaillissent soit sur le personnel, soit sur le niveau de prestation fourni aux résidents ».

Conseiller en gestion de patrimoine, Gérard Maurin a fait le choix de ne pas proposer ce type de produit à ses clients, parce qu’il juge au contraire le rendement insuffisant au regard du risque pris par l’investisseur. « Si l’exploitant de l’Ehpad fait faillite, ou s’il résilie le bail, vous vous retrouvez coincé, dit-il. Votre épargne ne vous rapporte plus rien et vous ne pouvez rien y faire. » Le système, dans sa  « globalité, me gêne, ajoute M. Chartier-Kastler. Le conseiller financier perçoit une commission sur la vente d’une chambre en Ehpad, entre 8 % et 10 %, mais tout n’est pas toujours dit à l’investisseur. »