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Covid-19 : "Au printemps, tout le monde sera persuadé que tout est fini, mais pas moi !", avertit l'épidémiologiste Renaud Piarroux
Deux ans après l'apparition du Covid-19, qu'a-t-on appris sur l'épidémie ? Renaud Piarroux, qui surveille de près son évolution, partage ses doutes et ses craintes sur l'avenir du virus.
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Publié le 22/01/2022
L'épidémiologiste Renaud Piarroux, le 10 novembre 2020 à la Pitié-Salpêtrière, à Paris. (STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)
Entre les records de contaminations et de classes fermées d'un côté, le recul des admissions en soins intensifs et le protocole sanitaire allégé de l'autre, difficile d'y voir clair au milieu de cette cinquième vague du Covid-19. Lundi 17 janvier, sur France Inter, l'épidémiologiste et membre du Conseil scientifique Arnaud Fontanet a des nouvelles rassurantes. "On a le sentiment que le pic est en train de passer devant nos yeux", affirme-t-il. Jeudi, c'est au tour du gouvernement d'annoncer de bonnes nouvelles. Jean Castex et Olivier Véran présentent le calendrier d'une levée progressive des dernières restrictions. "Cette vague exceptionnelle n'est pas terminée, mais je crois pouvoir vous dire que la situation commence à évoluer favorablement", précise même le Premier ministre. Or, le même jour, le ministère de l'Education nationale annonce que près de 19 000 classes sont fermées, un chiffre inédit depuis la réouverture des écoles au printemps 2020. Et le nombre de contaminations atteint un record mardi, avec 464 769 nouveaux cas de Covid-19 dans les dernières 24 heures.
L'épidémiologiste Renaud Piarroux, chef du service de parasitologie-mycologie à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP), affirme que la situation devrait s'améliorer d'ici au printemps. Mais, loin de l'optimisme ambiant, ce chercheur de terrain s'interroge sur l'avenir de la pandémie et partage ses craintes sur l'émergence de nouveaux variants.
Franceinfo : A-t-on atteint le pic de cette cinquième vague ?
Renaud Piarroux : Je pense qu'on a passé le pic sur l'Ile-de-France puisque le nombre de nouveaux cas est plus bas cette semaine qu'il y a une dizaine de jours. La région a de l'avance sur les autres. Pour le reste du pays, le nombre de nouveaux cas est très important. En tout, le 20 janvier, on recensait 5,6 millions de cas diagnostiqués en France rien que depuis le début de l’année. En tenant compte des patients non diagnostiqués et de ceux qui ont déjà une immunité efficace, on peut estimer qu'on a passé le pic cette semaine.
Les hôpitaux semblent tenir le choc. Pourquoi arrive-t-on à mieux faire face à cette vague ?
Les hôpitaux sont quand même en souffrance. Je crois qu'on en parle moins car nous nous sommes habitués à ces situations de crise. Les formes graves sont plus rares mais nous avons déjà presque autant de patients hospitalisés qu'au pic des trois premières vagues et beaucoup plus que lors de la quatrième vague. Il y a donc un vrai problème à l'hôpital. Et parfois, un tri doit être opéré, notamment dans le sud de la France, où c'est très compliqué.
"Globalement, ce qui a vraiment changé, c'est la perception de l'épidémie. En disant à tout le monde que ce n'est pas grave, que tout va bien, plus personne ne veut en entendre parler."
Et d'où vient ce changement de perception ?
De tout le monde. Nous en avons marre. Cela vient du public, de la population, de la presse aussi. A la fin du mois de décembre, l'institut Pasteur a publié plusieurs prévisions, dont certaines franchement catastrophiques. Parmi tous les scénarios, un seul modèle annonçait qu'il ne se passerait pas grand-chose. Or c'est celui qui a été mis en exergue dans la presse. Quelque temps après, l'institut Pasteur a précisé ses calculs et ce modèle "optimiste" a été écarté. Mais la presse n'est pas revenue dessus.
C'est aussi une perception qui est portée par le gouvernement. On garde les écoles ouvertes de manière à pouvoir dire : "Regardez, nous avons préservé la vie de tout le monde". Enfin, même les médecins en ont marre. Ils préfèrent regarder les prévisions les plus optimistes même s'ils savent qu'il faut aussi se préparer à des scénarios plus compliqués.
Le nombre de décès n'est pas l'indicateur qui est le plus suivi en ce moment, à la différence du nombre de cas quotidien ou du nombre d'hospitalisations…
Et pourtant, ils augmentent en ce moment. Alors, ce n'est pas tout à fait aussi haut qu'il y a un an. Pendant l'hiver 2020-2021, nous étions autour de 300 à 400 décès quotidiens. Là, nous sommes entre 200 et 250 morts par jour. Ce n'est quand même pas négligeable. Pourtant, personne n'en parle. Là encore, on ne veut pas le voir.
Qu'en est-il de l'immunité collective ?
Déjà, l'immunité que nous avons acquise, grâce aux vaccins et aux contaminations des vagues précédentes, se traduit par le fait qu'il y a moins de formes graves. Mais cette immunité nous permettra-t-elle de résister à de nouveaux variants ? Je n'en sais rien. Omicron nous montre qu'il peut y avoir une vague importante, au moins au niveau de la transmission, dans un contexte où quasiment toute la population est vaccinée ou a contracté la maladie. Et nous voyons déjà poindre des variants d'Omicron, comme au Danemark.
Le Covid-19 va-t-il devenir une forme de grippe saisonnière après Omicron ?
Je ne dis pas que c'est faux. Ni que c'est vrai. En fait, je n'en sais rien. Et je ne comprends pas que quelqu'un puisse le savoir. D'abord parce que Delta n'a pas disparu. Ensuite, parce que nous ne savons pas quel peut être le comportement d'un virus comme Omicron. Ce variant a une telle contagiosité que les épidémies sont actuellement quasi-simultanées autour du monde. Peut-être qu'il disparaîtra s'il ne reste plus personne pour l'attraper. Je ne sais pas non plus si un autre variant va arriver. Et si cela se produit, je ne suis pas sûr qu'il soit moins virulent qu'Omicron. De toute façon, la contagiosité de ces coronavirus pose un gros problème. Dans le cas d'une épidémie de grippe, seulement 10% de la population est touchée en une saison. Avec Omicron, nous avons changé d'échelle.
Avez-vous des certitudes aujourd'hui sur le Sars-CoV-2 ?
Ce virus nous surprend depuis le début. Il est devenu extrêmement contagieux. Ce comportement est très inhabituel. Par ailleurs, nous n'avons jamais trouvé la source animale qui aurait permis à ce virus de chauve-souris d'infecter l'homme. Je pense qu'il faut maintenant considérer la fuite involontaire à partir d'un laboratoire comme une hypothèse à investiguer sérieusement.
Pensez-vous que ce virus peut encore nous réserver des surprises ?
Oui. Je n'élimine pas l'hypothèse que la situation s'améliore. Pour les semaines qui viennent, nous avons un peu de visibilité et on peut dire qu'on abordera le printemps dans une situation bien meilleure. En mars et en avril, avec le retour du printemps, tout le monde sera alors persuadé que tout est fini. Mais pas moi !
Comme je ne pense pas que les gens vont se précipiter vers une quatrième dose de vaccin, nous aurons, au bout de quatre à six mois, de nouveau une population apte à transmettre le virus. La question, c'est à quel virus nous aurons affaire à ce moment-là. Est-ce que ce sera Omicron, Delta ou encore un autre ? Et dans ce cas, quelles seront ses caractéristiques ?
Vu le nombre de personnes contaminées aujourd'hui, il serait quand même étonnant qu'il n'y ait pas de nouveaux variants. Mais nous ne les verrons pas tout de suite. Ces variants se génèrent chez des personnes immunodéprimées qui hébergent longtemps les virus. Certains n'émergeront que dans quelques mois.
Vous avez l'air très pessimiste…
Ce n'est pas moi qui suis pessimiste, ce sont les autres qui sont optimistes. Et je ne plaisante qu'à moitié. Les gens en ont marre. Ils ne veulent entendre que des nouvelles optimistes. Mais en réalité, personne ne peut prévoir ce qui se passera dans plus de deux mois. L'important n'est pas d'être optimiste ou non, c'est d'envisager les scénarios et de s'y préparer.
Est-ce que cela veut dire que la population doit s'attendre à se faire vacciner régulièrement ?
Je crains que la plupart des gens ne sortent de cette vague avec la conviction qu'il n'est plus nécessaire de se faire vacciner. L'adhésion à la vaccination va être compliquée, puisqu'ils entendent à longueur de journée qu'Omicron leur donne une immunité. Nous allons sortir de cette vague avec un taux de vaccination énorme. Déjà 32 millions de personnes ont reçu leur dose de rappel. Mais ce n'est pas pour ça que les gens vont se faire vacciner tous les trois ou quatre mois. Ce n'est d'ailleurs pas envisageable. De ce fait, l'immunisation contre la transmission ne durera pas.
Cela signifie-t-il que nous sommes contraints d'attendre ? Que nous n'avons pas encore trouvé la bonne stratégie ?
La stratégie du "zéro Covid" a échoué, sauf en Chine, où elle tient encore. Cette stratégie aurait pu être tentée à l'issue de la première vague, quand le virus était moins contagieux et moins virulent. Mais les politiques n'ont pas voulu, et comme nous vivons tous sur la même planète, les pays qui avaient fait l'effort ont dû faire marche arrière avec l'arrivée de variants de plus en plus contagieux. Nous avons laissé trop d'espace au virus pour proliférer et muter. Beaucoup de pays qui contrôlaient la situation se trouvent désormais en difficulté.
D'un autre côté, la stratégie qui consiste à vivre avec le virus n'est pas un succès planétaire non plus. Nous voyons maintenant que cela signifiait que les vagues allaient se succéder. Nous en sommes à la quatrième ou à la cinquième selon les pays, avec, à chaque fois, une désorganisation des soins. Il n'y a pas de quoi pavoiser.
"Si, à l'été 2020, on nous avait dit qu'en laissant filer le virus, on aurait un hiver pourri avec 300 à 400 morts par jour, puis que la vaccination serait uniquement une solution transitoire, je ne suis pas sûr que les gens auraient trouvé ça génial comme perspective."
Les discours très optimistes de ces derniers jours, les études des autres pays sur Omicron… on se sentait plutôt rassurés.
Oui, ce que nous voyons, c'est que les chiffres baissent au bout de quelque temps, et en France, nous y arrivons. En Afrique du Sud, ça a baissé, ce n'est pas encore redescendu à zéro, il faut continuer à surveiller. En Angleterre, ça baisse aussi, mais au Danemark, non. On voit bien que rien n'est gravé dans le marbre. On a juste une idée de ce qu'il va se passer dans un mois ou deux. Là, nous pouvons être optimistes. C'est l'après, le problème.