Avec trois quarts de visiteurs des Hauts-de-France, le Louvre-Lens célèbre 10 ans d’un ancrage local réussi

 

 

L’établissement, qui accueille pour onze mois « Le Scribe accroupi » du Louvre, a relevé son pari d’attirer une population éloignée des musées mais reste fragile économiquement.

 

Par Cédric Pietralunga(Lens, envoyé spécial)

 03 février 2022

 

Emmanuel Macron en visite au Louvre-Lens, devant le « Le Scribe accroupi », dans le Pas-de-Calais, le 2 février 2022.

 

 JEAN-CLAUDE COUTAUSSE POUR « LE MONDE »

 

« Elle est magnifique ! », s’enthousiasme Emmanuel Macron. Malgré sa petite taille – 47 centimètres – et ses 4 500 ans d’âge, la statue du Scribe accroupi dévore tout l’espace dans le Musée du Louvre-Lens, à qui l’œuvre a été prêtée pour fêter son dixième anniversaire. Arrivée discrètement la veille du Musée du Louvre à Paris, la figure de pierre calcaire a été installée mercredi 2 février, quelques heures avant la visite du chef de l’Etat, venu saluer la réussite de l’établissement artésien, aujourd’hui troisième musée le plus important de province, derrière le Mucem (Marseille) et le Musée des Confluences (Lyon).

Ce prêt du Scribe accroupi, prévu pour une durée de onze mois, est le premier acte fort de Laurence des Cars, la nouvelle présidente du Louvre, nommée en mai 2021 par M. Macron. Lors de son inauguration, en décembre 2012, le Louvre-Lens avait obtenu de pouvoir exposer La Liberté guidant le peuple, d’Eugène Delacroix.

Depuis, le musée parisien a prêté quelque 3 300 œuvres à sa petite sœur des Hauts-de-France, parmi lesquelles des tableaux de Raphaël, Ingres, Rembrandt, Vermeer… Mais aucune de l’envergure de la statue égyptienne, dont les yeux en cristal de roche poli subjuguent les égyptologues depuis près de deux siècles.

« Ce prêt, j’y ai pensé dès mon arrivée car je voulais un symbole fort pour fêter l’anniversaire du Louvre-Lens, explique Laurence des Cars au Monde. Le Scribe accroupi est une des œuvres les plus célèbres et les plus aimées du Louvre. Et son prêt coïncidait avec le bicentenaire du déchiffrement des hiéroglyphes par Champollion, qui fera l’objet d’une exposition à Lens en septembre. » La sculpture n’avait quitté qu’une seule fois le Louvre depuis son entrée au musée, en 1854, lorsqu’elle avait été offerte par l’Egypte au titre du partage de fouilles. Et encore, c’était pour aller au Grand Palais, à deux pas du musée parisien, lors d’une exposition consacrée aux pyramides en 1999.

Une décennie de développement

Pour Mme des Cars, la statue égyptienne est aussi l’occasion de rappeler que le Louvre est bien plus que le refuge de La Joconde. « Dès le départ, nous nous sommes mis d’accord avec le Louvre-Lens pour ne pas exposer une peinture, afin de montrer que le Louvre n’est pas qu’un grand musée de peintures mais compte aussi des départements majeurs comme celui des antiquités égyptiennes », explique l’ancienne présidente du Musée d’Orsay, qui devrait dévoiler dans les prochains jours les projets qu’elle entend mener durant son mandat au Louvre, débuté le 1er septembre et d’une durée – renouvelable – de cinq ans. Mme des Cars s’est notamment engagée à créer un nouveau département consacré à Byzance et aux chrétiens d’Orient.

Pour le Louvre-Lens, ce prêt vient couronner une décennie de développement. Depuis 2012, les lieux ont attiré plus de 4,5 millions de visiteurs, dont les trois quarts en provenance des Hauts-de-France. En 2021, alors que les lieux d’exposition furent fermés durant cinq mois, le musée a attiré 223 000 amateurs. Une baisse de 57 % par rapport à 2019, où il avait atteint son record (530 000 visiteurs, dont 100 000 scolaires), mais inférieure à celle constatée à Paris, où Le Louvre n’a accueilli que 2,8 millions de touristes en 2021, soit un recul de plus de 70 % par rapport à avant la crise sanitaire.

Marie Lavandier, directrice du musée : « On a accueilli 230 000 Lensois en neuf ans,

alors que la ville ne compte que 30 000 habitants »

Surtout, le Louvre-Lens a réussi en une décennie à faire venir à lui les populations les plus éloignées de la culture, ce qui était l’objectif assigné à son ouverture. Selon une étude menée en 2021, les employés et les ouvriers représentent 31 % de ses visiteurs, contre une moyenne de 14 % dans les musées nationaux. « On a aussi accueilli 230 000 Lensois en neuf ans, alors que la ville ne compte que 30 000 habitants. L’ancrage local est massif », se réjouit Marie Lavandier, la directrice du musée, érigé sur un ancien carreau de mine.

 

« L’accès à la culture, c’est aussi faire venir les plus grands établissements comme Le Louvre à Lens, a souligné M. Macron lors de sa venue. Cela décloisonne énormément de choses. Quand les enfants se disent “le Louvre est dans ma commune”, on n’est plus intimidé, on se dit que ce n’est pas quelque chose qui est lointain. »

Bousculer les habitudes

Pour parvenir à ce résultat, le Louvre-Lens n’a pas hésité à bousculer les habitudes. Outre la gratuité de l’entrée (hors expositions temporaires), prévue à l’origine pour un an mais sans cesse reconduite depuis, le musée a multiplié les opérations destinées à séduire de nouveaux publics. « Nous avons été les premiers à proposer aux visiteurs de faire du yoga au musée, de venir avec leur bébé, de se présenter déguisés en super-héros ou tout en rose pour une exposition… On va même dans les centres commerciaux ! », explique une cadre de l’établissement, qui parle de fonctionnement « en mode start-up ». Un quart de la centaine de salariés du musée travaille au service médiation, un chiffre hors norme pour un musée national.

Revers de la médaille, l’établissement lensois a du mal à trouver son modèle économique. Dans un rapport publié l’an dernier, la chambre régionale des comptes des Hauts-de-France a fustigé sa trop grande dépendance aux subventions publiques : le Musée du Louvre prête des œuvres et assure le commissariat d’exposition mais ne finance pas directement l’établissement. En 2019, les collectivités locales ont assuré 84 % des recettes du Louvre-Lens (12,5 millions d’euros sur un budget de 14,9 millions), un chiffre qui a encore augmenté en 2020, avec l’irruption de la crise sanitaire, et atteint aujourd’hui près de 90 %.

De même, l’établissement reste dépendant du Louvre pour remplir ses salles puisqu’il ne possède pas de collection propre et n’acquiert pas d’œuvres, à la différence de l’antenne d’Abou Dhabi du musée parisien. Mais un travail de diversification de l’origine des pièces exposées est en cours. Le Louvre-Lens affiche ainsi depuis quelques mois des pièces venues du Musée du quai Branly. Selon nos informations, il devrait également accueillir des œuvres du Centre Pompidou à partir de 2024, date à laquelle l’établissement parisien fermera ses portes pour plusieurs années de travaux.


Cédric Pietralunga(Lens, envoyé spécial)

 

Collé à partir de <https://www.lemonde.fr/culture/article/2022/02/03/le-louvre-lens-celebre-10-ans-d-un-ancrage-local-reussi_6112130_3246.html>