Au lendemain du premier tour de la présidentielle, la romancière, qui a soutenu Jean-Luc Mélenchon, évoque le résultat du candidat insoumis, son refus de voir Marine Le Pen passer et l’avenir de la gauche.
Annie Ernaux, membre du parlement de l'Union populaire, en novembre 2021. (Patrick Swirc/Modds)
par Anastasia Vécrin
publié le 11 avril 2022 à 17h24
L’écrivaine connue pour ses écrits autobiographiques sociaux et féministes a soutenu Jean-Luc Mélenchon dans sa dernière course à l’Elysée, en rejoignant le parlement de l’Union populaire qui réunit des personnalités du monde associatif, syndical, intellectuel et artistique. C’était la troisième fois que l’autrice de Mémoire de fille et la Place donnait sa voix à l’insoumis. Libération l’avait rencontrée début mars dans sa maison de Cergy pour parler politique, littérature et engagement. Nous avons eu envie de savoir comment elle a vécu ce premier tour qui a laissé le candidat de La France insoumise si proche du deuxième tour. Et, surtout, comment elle appréhende la suite du scrutin.
Vous avez soutenu Jean-Luc Mélenchon, quelle est votre réaction face à cette défaite, si près du but ?
C’est très dur ce matin. Il y a une forme de désespoir. En me réveillant, j’ai éprouvé une sensation que je n’ai pas éprouvée depuis de très nombreuses années, c’était après les élections de 1968, de Gaulle avait dissous l’Assemblée et avait obtenu un raz-de-marée pour lui. J’ai aussi beaucoup de colère contre les communistes, les socialistes qui ne se sont pas réunis autour de la candidature qui pouvait l’emporter. Cela veut dire quoi, un vote de conviction ? On a tous des convictions mais il faut regarder la suite ! Il y a évidemment un sentiment d’échec, mais je retrouve espoir, un élan magnifique a eu lieu, avec ces 22 %. Les électeurs de Jean-Luc Mélenchon, c’est la France jeune, la France populaire, la France qui travaille, celle qui veut un monde juste, réellement. Les féministes ont eu d’ailleurs un grand rôle dans la mobilisation à gauche, il ne faudra pas l’oublier. Les forces progressistes sont là, autour de Mélenchon. Cette France existe, elle s’est mobilisée et cela ne peut pas se perdre. Cela ne peut se dissoudre dans ce piège.
Que voulez-vous dire ?
Emmanuel Macron a fomenté ce piège patiemment pendant tout son quinquennat. Il voulait ce duel. Il est le grand responsable de la montée de l’extrême droite en France, il n’a cessé de donner des gages en ce sens, avec son ministre Blanquer qui voulait interdire aux mères voilées d’accompagner les enfants dans les sorties, sur les sujets de société, toutes ces choses rances qu’on a entendues pendant cinq ans.
Emmanuel Macron veut évidemment rassembler, il parle même d’une «nouvelle méthode», qu’en pensez-vous ?
Il est très fort, c’est un homme de théâtre, sans aucune conviction. Je ne crois pas à son ouverture, et ce qu’on fait pour vous mais sans vous, on le fait contre vous.
Allez-vous malgré cela voter pour Emmanuel Macron ? Pensez-vous que le front républicain va fonctionner ?
Il ne faut pas que Marine Le Pen passe. Mais je ne crois plus au front républicain, il est usé. Inutile de vous dire que je ne voterai jamais Marine Le Pen, je la combattrai toujours. Mais je ne veux pas dire, là, aujourd’hui, au lendemain du premier tour, que je voterai Macron. Il faut, pendant ces quinze jours, l’interroger, exiger des réponses et des engagements. Je ne peux pas donner quitus là, tout de suite, à Macron, ce n’est pas possible.
Qu’attendez-vous de ces quinze jours ?
Ces quinze jours sont importants pour que tous ceux qui ont voulu un autre monde, une autre société, ne soient pas condamnés au silence. J’entends encore parler d’extrême gauche pour qualifier – et disqualifier – Mélenchon. Mais l’extrême gauche, elle est représentée par Poutou et Arthaud, qui n’ont pas le désir de rassembler et de gouverner ici et maintenant, de construire ensemble une société meilleure. Quant au «Nous tous» de Macron, c’est un slogan.
Mais cette fois-ci, Marine Le Pen peut accéder au pouvoir…
Le piège est bien constitué et c’est le plus insupportable. C’est le couperet. On nous oblige à faire quelque chose qu’on ne veut pas faire. Aujourd’hui, je m’interroge. En 2017, je ne suis pas allée voter au second tour. La configuration est différente qu’il y a cinq ans, l’extrême droite a encore augmenté, le danger est encore plus proche. Ce qui domine en moi, là, c’est la colère d’être acculée à ce choix. Ce sentiment de contrainte, je l’ai d’ailleurs éprouvé pendant tout le quinquennat de Macron. Derrière son arrogance, il y a une main de fer. Le pire, c’est que tout ce qui a été imposé pendant cinq ans l’a été avec l’apparence de la participation. On se souvient de la grande consultation après les gilets jaunes qui, pour le coup, a coûté un «pognon de dingue» et finalement a accouché d’une souris. Macron est le moindre mal mais, pour le moment, je ne veux pas qu’on empêche les voix de gauche de s’élever, il faut faire apparaître les impostures, et que surgisse un débat dont on ne soit pas exclu.
Comment voyez-vous l’avenir de la gauche ?
Il est évident que ce n’est plus la peine de parler du Parti socialiste. Ces élections montrent bien que personne ne veut plus entendre ces prétendus socialistes qui proclament «Mon ennemi, c’est la finance» et qui font tout le contraire. Au sein de La France insoumise, la relève est là, Clémentine Autain, Manuel Bompard, Adrien Quatennens… Je suis allée à un meeting près de chez moi et j’ai été fascinée par le sérieux, l’engagement des personnes présentes, la précision du programme… Il y a là une force vivante, d’avenir, inaltérable.