Je suis un angoissé chronique

Laurent Sagalovitsch — 30 juin 2020

Ce n'est pas de la tristesse, pas même de la mélancolie, juste un sentiment d'irréalité qui semble prendre racine au plus profond de mon être.

Tout me déborde, me dépasse, m'effraie. | Aarón Blanco Tejedor via Unsplash

 

À peine levé que déjà je pense à la mort. En attendant que le café soit prêt, je m'étonne d'être encore en vie et demeure frappé par l'absurdité de la condition humaine, cette vie que nous menons tous et à laquelle nous ne comprenons pas grand-chose, ballotés de la naissance à la mort comme dans un manège de fête foraine dont personne n'aurait jamais compris le fonctionnement.

Je crois que fondamentalement, je ne sais pas vivre. Je vais dans la vie comme un marin aveugle affrontant une mer déchaînée. Tout me déborde, me dépasse, m'effraie et tandis que la journée suit son cours, je reste là, à quai, indécis, vaguement indolent, en proie à une agitation confuse qui tend à s'appesantir aux abords de mon cœur pendant qu'elle emprisonne mon âme d'une langueur monotone.

Ce n'est pas de la tristesse, pas même de la mélancolie, juste un sentiment d'irréalité qui semble prendre racine au plus profond de mon être. Une inquiétude latente dont j'ignore l'origine mais qui agit comme un repoussoir et jette sur l'existence un voile trouble. Qui suis-je exactement? C'est une démangeaison de l'esprit qui jamais ne s'accorde de répit et toujours s'interroge sur la nature des choses comme si, tous les matins recommencés, il fallait trouver un sens à ce qui, fondamentalement, n'en a pas.

Vivre, c'est essayer de dompter son chaos intérieur afin de ne pas chanceler de trop. La plupart du temps, cette tâche s'accomplit sans effort et nous allons dans l'existence d'une manière plus ou moins paisible, aguerris à la routine d'un métier qui nous offre la douce consolation de l'oubli, quand la nécessité du travail demandé permet à l'esprit de surseoir à son état d'angoisse naturelle. Alors nous ne sommes plus vraiment au monde mais dans un à-peu-près qui autorise toutes les audaces, et parmi elles, la toute première, celle de vivre.

 

D'autres fois, la pesanteur de vivre nous étrangle. Nous avons mille ans. Nos pensées sont lourdes, si lourdes. Notre sang est de plomb. Notre cœur bat à regrets. Notre âme se fige. C'est l'automne. Notre bouche suinte de dégoût. On aimerait pleurer mais on ne peut pas. Tout nous accable et nous restons là à nos fenêtres comme si nous assistions à notre propre enterrement.

Non mais tu veux quoi, Stabilovitsch? Que tes rares lecteurs se suicident? Qu'ils se précipitent pour acheter la plus robuste des cordes avant de coucher sur le papier une dernière pensée où ils confieraient l'aveu de leur défaite? Ta chronique est sinistre. On dirait les lamentations d'un adolescent attardé. Qu'est-ce qui t'arrive ce matin? Ton chat a oublié de te saluer? Ta belle-mère après avoir longuement hésité s'est finalement décidée à vous rendre visite, dût-elle rester confinée le temps de son séjour? Tu as dormi avec ton masque pour être à ce point larmoyant?

Tu ne crois pas que par les temps qui courent, leur vie est déjà assez compliquée pour que tu ne viennes pas en remettre une couche avec tes angoisses débiles? La pandémie, le gel hydroalcoolique quinze fois par jour, les enfants coincés à la maison, la canicule, la deuxième vague, les vacances forcées dans la Creuse, le Tour de France remis en septembre, la condamnation de Fillon, la réélection d'Hidalgo, le retour du chômage de masse, bientôt la soupe populaire, les tickets de rationnement, l'ombre de la faim... et toi maintenant qui la ramène avec ta chronique d'outre-tombe!

Assez.

Le monde entier se fout de tes angoisses et tu devrais bien en faire de même. Tu es un handicapé de la vie, voilà tout. Heureusement que tu n'as pas fait d'enfants, sinon à cette heure ils dormiraient tous à l'hôpital psychiatrique. Tu emmerdes ton monde avec tes lamentations de juif apatride. Change de disque. Sors. Va courir. Prépare un couscous. Joue avec ton chat. Bouffe du Valium et respire.

Mais je voulais parler de Dieu, du silence de Dieu pendant la...

Ta gueule.

 

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Laurent Sagalovitsch

 

 

Collé à partir de <https://www.slate.fr/story/192165/blog-sagalovitsch-angoisse-chronique>