Nous ne sommes pas prêts à affronter la neuvième vague de Covid (alors que nous pourrions l'être)

Laure Dasinieres et Antoine Flahault —30 novembre 2022

Tandis qu'un nouveau sous-variant d'Omicron fait des siennes, la veille sanitaire en France présente des lacunes et ne sert plus au gouvernement à réagir.

Peu de gouvernements européens ont le courage d'instaurer de nouveau le port du masque obligatoire. | Isaac Quesada via Unsplash

 

Les récentes grèves des laboratoires de biologie ont pointé du doigt l'importance des tests PCR dans notre veille sanitaire. Alors que nous voyons se dessiner une neuvième vague de Covid-19 avec un nouveau sous-variant d'Omicron appelé «BQ.1.1», c'est l'occasion de faire le point sur cette veille sanitaire à la française et sur comment il serait possible de l'optimiser pour mieux anticiper les évolutions de la pandémie et riposter rapidement en conséquence.

Commençons par nous poser la question de ce qu'est une veille sanitaire en contexte de pandémie de Covid. Globalement, celle-ci consiste à surveiller l'état de santé d'une population donnée afin de pouvoir détecter d'éventuels signaux précoces signant une évolution défavorable de la pandémie afin de pouvoir agir en conséquence, c'est-à-dire en organisant une réponse ou en réajustant une réponse déjà mise en place qui s'avérerait insuffisante.

Depuis le début de la pandémie, nous nous sommes familiarisés avec les différents outils de veille sanitaire que certains d'entre nous consultent quotidiennement à l'instar de la météo.

 

La veille quotidienne grâce aux tests

Parmi eux, des indicateurs qui renseignent immédiatement sur la situation actuelle. Il y a d'abord ceux relatifs au suivi de l'épidémie grâce au testing:

·                                      les nouveaux cas détectés;

·                                      le taux d'incidence: le nombre de nouveaux cas rapportés à la population, souvent exprimé sur une semaine de recueil épidémiologique;

·                                      le taux de positivité: le nombre de PCR positives sur le nombre de tests réalisés;

·                                      le Re: c'est le taux de reproduction effectif, qui évalue l'accélération de la courbe épidémique;

·                                      ainsi que les données relatives au séquençage qui permettent notamment de voir quels variants circulent et lesquels dominent.

Ces données sont évidemment très dépendantes des laboratoires de prélèvements qui réalisent les tests PCR –et de la technique utilisée pour réaliser ces tests. Elles sont également extrêmement dépendantes du bon vouloir de la population à se faire tester. Et ça, c'est quelque chose qui va décroissant. Avec le temps, la lassitude voire l'oubli se sont installés. Chacun tente peu ou prou de tourner la page et les rhumes ne sont plus testés. De plus, les vaccins ont augmenté le nombre de cas asymptomatiques ou peu symptomatiques.

Alors, et même si les tests restent accessibles et gratuits –reconnaissons ce mérite à la politique française en la matière–, le nombre de cas réels est très sous-estimé aujourd'hui. Les Britanniques, qui sont notre étalon-or en matière de veille sanitaire (nous y reviendrons plus loin) nous confirment que nous sous-estimons nos contaminations d'un facteur 4 à 25. Autrement dit, lorsque la veille sanitaire officielle rapporte 30.000 cas dans une seule journée, c'est peut-être 750.000 contaminations qui ont eu lieu le même jour dans l'Hexagone.

 

 

Surveillance des eaux usées et échantillons

Afin de pallier ce problème, il faudrait pouvoir disposer de systèmes de mesure qui ne reposeraient pas sur la seule bonne volonté de la population. L'analyse des eaux usées dans les stations d'épuration telle qu'elle avait été initiée par le réseau Obépine en avril 2020 s'avère un excellent moyen d'assurer une surveillance épidémiologique de la circulation virale, et permet même de séquencer les virus et de savoir quels variants circulent dans la population.

Comme l'avait expliqué son ancien directeur, Vincent Maréchal, professeur de virologie à Sorbonne Université et virologue au Centre de recherche Saint-Antoine, «si le virus se multiplie dans les voies respiratoires, il est aussi excrété en quantités importantes dans les selles chez une vaste proportion de sujets symptomatiques et non symptomatiques». Ainsi, l'analyse des eaux usées permet de suivre l'évolution de la pandémie.

Reste que les subventions du réseau ont cessé en avril 2022 alors que d'autres pays européens comme les Pays-Bas, ont su mettre en place un réseau plus dense autour de leurs stations d'épuration, avec des prélèvements quotidiens qui s'avèrent très précieux pour la veille sanitaire.

On se rend compte que les services français dirigeaient les opérations avec des boussoles vrillées qui indiquaient le nord au mieux à 45 degrés près.

Parmi les autres méthodes, il y a la Rolls-Royce de la veille sanitaire, bien sûr de fabrication britannique: nous voulons parler des échantillons représentatifs constitués au sein de la population qui permettent d'estimer, avec la meilleure précision européenne possible, le nombre de personnes infectées par le SARS-CoV-2 dans chacune des quatre nations du Royaume-Uni. Le système permet aussi de séquencer les virus identifiés.

La méthode, conduite par l'ONS, qui est l'Insee britannique –et non par le ministère de la Santé–, n'a rien de très innovante. Nous y avons recours toutes les semaines ou presque en France lorsqu'il s'agit, par exemple, de sonder la population pour savoir ses opinions politiques. Ici, à partir d'échantillons représentatifs de la population de chacune des nations britanniques (Anglais, Écossais, Gallois, Nord-Irlandais), chez qui un prélèvement hebdomadaire est effectué, on a l'estimation précise des nombres de cas de Covid dans le royaume.

En France, aucune trace de ce type de pratiques pourtant efficaces, pas même la moindre question au Parlement –à notre connaissance. Le Royaume-Uni a montré qu'entre ces échantillons représentatifs qui estiment au plus près la vraie incidence et l'incidence fournie par les tests PCR tout-venants, ceux-là même que nous réalisons en France quand les biologistes ne sont pas en grève, il pouvait y avoir ce facteur multiplicatif de 4 à 25 que nous évoquions plus haut. Et même en sachant cette imprécision, nos dirigeants n'ont pas l'air d'avoir eu envie d'améliorer un peu leur instrument de pilotage pour mieux gérer la pandémie.

 

 

 

«On est en guerre», nous disait, martial, le président aux premiers jours de la pandémie, mais on se rend compte aujourd'hui que ses services dirigeaient les opérations avec des boussoles vrillées qui indiquaient le nord au mieux à 45 degrés près.

En matière de surveillance épidémiologique, pour reprendre un exemple de cet automne, on passe donc probablement à côté de nombreuses bronchiolites chez les enfants. Si l'on sait qu'elles peuvent être causées par le Covid, le plus souvent, personne ne cherche à les tester chez les tout-petits, pas même à l'hôpital.

 

Indicateurs hospitaliers

En dehors des indicateurs de veille sanitaire en population générale que nous venons de passer en revue, il y a également ceux relatifs à la prise en charge médicale et hospitalière:

·                                      passages aux urgences;

·                                      hospitalisations pour Covid;

·                                      admissions en soins intensifs;

·                                      décès.

Ces indicateurs sont suivis par les autorités comme du lait sur le feu. Il est vrai que ce sont probablement les plus fiables, même en France, car depuis le début de la pandémie, on teste beaucoup dans les hôpitaux. C'est probablement moins vrai aujourd'hui, mais quand même, reconnaissons que ces données restent utiles.

L'image du lait sur le feu est presque littérale car les lits d'hospitalisation et de soins intensifs ont été les indicateurs clés du début de la pandémie. Ils le restent, d'ailleurs. C'est quasiment sur leur seule base que les mesures fortes de confinement ont été décidées, un peu partout en Europe.

Mais ce n'est pas le seul indicateur de sévérité du Covid: nous savons désormais que l'infection à SARS-CoV-2, c'est aussi le Covid long, qui affecte environ 20% des personnes infectées par le virus, qu'elles aient été hospitalisées ou non et qui souffrent durablement de séquelles parfois très invalidantes.

 

Évaluer les risques sur la population

D'autres indicateurs permettent d'anticiper partiellement comment la population risque d'être affectée par le virus.

·                                      Ceux qui ont trait à la vaccination: nombre de doses attribuées, nombre et pourcentage de personnes ayant reçu au moins une dose, nombre de personnes ayant un schéma de primo-vaccination complet, nombre de personnes ayant reçu un ou deux rappels. Comme les conséquences de l'épidémie en matière d'hospitalisations, de décès mais aussi de Covid long sont fortement corrélées à la couverture vaccinale dans le pays, ces indicateurs sont très importants à suivre.

C'est même sur la base d'une couverture vaccinale insuffisante de ses personnes âgées que la Chine continentale s'est arc-boutée à sa politique «zéro Covid», pour éviter une hécatombe dont elle pense qu'elle n'aurait pas pu se relever si elle avait conduit une autre politique. Reste qu'à l'arrivée de chaque nouveau variant, on redoute quelque temps qu'il échappe davantage que ses prédécesseurs à l'immunité acquise par la vaccination. Pour le moment, avec tous les sous-variants d'Omicron qui ont circulé depuis un an, les digues de l'immunité vaccinale contre les formes graves ont bien résisté.

Aujourd'hui, on peut redouter que le faible taux de rappel vaccinal (seuls 10-15% des plus de 60 ans ont eu leur rappel ces dernières semaines, s'est désolé récemment le ministre de la Santé et de la prévention) rende la population plus vulnérable cet hiver. Cela devrait inciter le gouvernement à mettre en œuvre une campagne de communication
ambitieuse, ce qui n'est pas fait tant les politiques comme la population ne semblent plus avoir envie d'entendre parler de Covid.
Les résultats d'Épi-Phare nous parviennent avec une ou plusieurs vagues de retard, mais ils sont très instructifs sur les mécanismes de la maladie.

·                                      Toujours dans la liste des méthodes de veille sanitaire que nous tentons de recenser, n'oublions pas celles qui mesurent l'adhésion de la population aux mesures de préventionc'est ce que surveille l'enquête CoviPrev. C'est un outil intéressant car il contribue également à mieux anticiper les comportements et donc l'évolution de la pandémie. Par exemple, moins les gens portent le masque, plus le virus se propage. On dispose d'études qui montrent que l'obligation du port du masque est une mesure efficace sur la transmission du coronavirus, mais peu de gouvernements européens ont le courage d'instaurer ce type de mesure tant la population semble lasse voire réfractaire.

·                                      Nous ne voudrions pas oublier les croisements de fichiers de données sanitaires, car là, la France se situe plutôt en tête de peloton européen, avec les analyses riches que fournit Épi-Phare sur l'utilisation des produits de santé durant la pandémie: par exemple, les risques de Covid graves associés à certains médicaments, des facteurs de Covid sévères, ainsi que tout ce qui a trait à la surveillance pharmaco-épidémiologique des vaccins contre le Covid-19.

Ces données sont obtenues par le croisement des fichiers du Système national des données de santé (SNDS) et des tests PCR réalisés chez les Français. Le SNDS est une base qui permet d'accéder aux données anonymisées des hôpitaux et de remboursement de l'Assurance maladie. Elle contient tous les actes, consultations, prescriptions de médicaments remboursés de 67 millions d'assurés sociaux en France. Les résultats nous parviennent avec une ou plusieurs vagues de retard mais pour autant, ils sont très instructifs sur les mécanismes de la maladie et permettent notamment une meilleure prise en charge des malades et une meilleure prévention des formes graves.

Il y a des petits frères d'Épi-Phare dans le monde –en Israël, au Royaume-Uni, au Danemark. Mais aucun n'a atteint la taille et la productivité scientifique de cette équipe française qui a su montrer un dynamisme exceptionnel avec plus de vingt articles publiés pendant la pandémie dans les meilleures revues scientifiques, pesant sur plusieurs des débats très sensibles que nous avons connus.

·                                      Parmi les outils sophistiqués de veille sanitaire dont la France ne dispose pas ou pratiquement pas, signalons la Biobanque britannique, projet phénoménal disposant du génome de 500.000 Britanniques qui ont été volontaires pour participer à de nombreuses recherches biomédicales avant et depuis la pandémie. Grâce à ces données, on en sait beaucoup plus sur le Covid long, par exemple.

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Enfin, il nous semble important d'évoquer d'autres outils de surveillance qui, aujourd'hui, n'existent pas de manière spécifique pour le Covid.

·                                      L'analyse de la qualité de l'air extérieur en est un: nous savons que la pollution de l'air aux particules fines est un déterminant important de la fréquence et de la gravité des cas de Covid (c'est vrai pour toutes les maladies virales respiratoires). Alors, les pics de pollution pourraient participer à prédire l'impact sur la population des vagues épidémiques.

·                                      L'analyse de la qualité de l'air intérieur est également précieuse car nous savons fort bien le poids d'un manque d'aération sur la transmission du virus quasi exclusivement par voie aérosol.

·                                      Une surveillance vétérinaire du Covid-19 et des maladies infectieuses est particulièrement importante pour le Covid et de nombreuses autres zoonoses dont on sait que les animaux domestiques, de rente, ou sauvages peuvent être infectés par l'humain et transmettre à leur tour le coronavirus et d'autres pathogènes.

Si la pandémie de Covid a marqué, à ses débuts, un très net coup d'accélérateur dans les capacités de veille sanitaire en France et dans le monde, avec notamment un accès ouvert en quasi-temps réel des informations épidémiologiques, aujourd'hui nous nous nous retrouvons dans une situation où les indicateurs utilisés sont encore pertinents mais très insuffisants pour suivre et anticiper l'évolution de la pandémie.

Il est temps de refonder la veille sanitaire en Europe continentale, de tirer les leçons de cette pandémie, de s'inspirer des meilleurs modèles et de l'expérience de nos voisins afin d'offrir au pays un dispositif qui permette à ses dirigeants de mieux piloter les risques sanitaires associés à ces épidémies, et à sa population de mieux suivre ces risques pour mieux s'en prémunir.

 

 Collé à partir de <https://www.slate.fr/story/236984/veille-sanitaire-france-gouvernement-covid-19-9e-vague-bq-1-1-indicateurs-evolution-pandemie-surveillance>