Covid-19 «Je veux être positif... mais on est très mal barrés !» alerte Christian Lehmann

Sans surprise, les nouvelles du front de la pandémie de Covid-19 ne sont pas bonnes : non seulement la maladie risque de ne jamais disparaître, mais ses conséquences risquent d'être lourdes et pérennes. Le médecin et écrivain Christian Lehmann analyse pour nous la situation.

Par Joël CARASSIO 

 

 

Il y a trois ans survenaient les toutes premières alertes sur un virus qui allaient plonger le monde entier dans une pandémie inédite. Photo d'illustration Sipa

Un virus éternel, des conséquences dangereuses

Après trois ans de Covid, « nous n'en sommes pas encore » à siffler la fin de la pandémie, alertait le directeur de l'OMS début décembre. Endémique, le Covid-19 n'en reste pas moins inquiétant : toujours plus contagieux, il immunise peu ou pas, et la protection conférée par les vaccins, efficaces, ne dure pas.

Le virus risque de muter à nouveau sans aucune certitude quant à sa dangerosité. Croire qu'un virus devient toujours moins dangereux relève du mythe, rappellent les scientifiques :

On laisse aujourd'hui beaucoup trop circuler le virus [...] et on n'a aucune raison de penser qu'il va devenir plus sympathique - même si ça nous arrangerait

Etienne Simon-Lorière, directeur de l'unité génomique évolutive des virus à ARN à l'Institut Pasteur

Face au risque d'une telle résurgence ou de l'apparition d'autres coronavirus sévères pour l'homme, l'OMS prône pour de meilleures capacités de détection, d'anticipation et une approche plus globale de la gestion des pandémies.

Christian Lehmann, 64 ans, est médecin et écrivain. Il publie dans Libération une chronique intitulée « Journal d'épidémie », dont il a rassemblé les deux premières années dans un livre au printemps dernier (1). 

 

Que pensez-vous de l'OMS qui estime que la pandémie est loin d'être terminée ?

« Ça pourrait être une blague de stand-up : "quand est-ce qu’une pandémie est terminée ?" Pour la France, comme dans beaucoup de pays, la réponse serait "quand on en a marre". Et on en a marre, tous, collectivement. Sauf que le virus est toujours là, et, lui, il n’en a pas marre. »

« Il y a une fatigue, un déni pandémique. En grande partie à cause de la désinformation. Les antivaccins, France Soir et autres, qui racontent n'importe quoi H24 depuis trois ans. Ils réussissent quand même à dire, à la fois, que le masque n'a aucun effet, mais qu'il aurait causé une « dette immunitaire », la dernière escroquerie en date. Selon eux on devrait tous être morts depuis un an et demi, les vaccinés, mais comme on est encore là, ils disent qu'on cache les chiffres de la mortalité. »

Vous parlez aussi d'une désinformation « d'Etat »...

« Depuis le départ, les pouvoirs publics donnent de mauvaises informations. Sur la contamination aérosole, par exemple. En France comme à l'étranger, jusqu'à l'OMS, elle a été niée, longtemps ! En parler nécessitait de réfléchir à de coûteux investissements sur la qualité de l'air, alors on en est resté à "ça passe par les mains, lavez-vous". »

« Depuis, en plus, il y a la crise en Ukraine et la crise énergétique… Donc ça relègue la pandémie au second plan. Au point qu'on a un discours de déresponsabilisation totale de l'Etat, qui en appelle à la responsabilité individuelle pour ne pas assumer sa responsabilité politique ! En refusant le masque obligatoire, le message est "il faut suivre la pente naturelle de la population qui en a marre". Très bien mais pourquoi ne pas faire ça pour la réforme des retraites, par exemple ?

Le Covid n'est plus perçu comme un danger ? 

« La perception de la réalité de l'épidémie a changé, et elle change encore. Au départ, nous étions tous très inquiets de l’attraper voire d’en mourir, même si on savait déjà que les plus à risque étaient âgés et/ou fragiles. Puis le vaccin est arrivé et les gens sont redevenus égoïstes vis-à-vis des plus fragiles. »

« Mais il y a le risque de Covid long, qui frappe tout le monde, même quand on a eu un Covid léger. Et ensuite ce risque s'accentue à chaque nouvelle infection. C'est comme la roulette russe : une espèce de loterie infernale avec des gens peu ou mal informés de la gravité du virus. Avec même Brigitte Autran, du Covars, qui parle de "gros rhume". C'est affligeant. »

Il y a aussi cette histoire de « dette immunitaire » ?

« On a une épidémie de grippe plus sévère que d'habitude. Des bronchiolites plus graves, plus nombreuses, et en prime des infections graves au streptocoque A, parfois même mortelles. Et on nous sort cette « dette immunitaire » qui ne tient pas la route une seconde. »

« C'est simple : avec la bronchiolite, il n'y a pas d’immunité. Mais ça fragilise les poumons. Donc ne pas en avoir eu en 2020 ou 2021 ça protège plutôt en 2022 ! Mais surtout, le Covid risque de faire comme la rougeole, qui s'attaque au système immunitaire et l'affaiblit. La question c'est très clairement celle d’un risque d’infections qui seront plus graves et/ou plus nombreuses, avec d’autres agents pathogènes, à cause du Covid. On a de plus en plus de preuves de ça. Ma crainte, c'est que dans six mois ou un an, on s'oriente vers une fragilisation et une dégradation énorme de l'état de santé de toute l'humanité. »

Peut-on malgré tout espérer voir la maladie disparaître ?

« Le virus ne va pas disparaître. Très peu de virus disparaissent. Mais soyons positifs : il ne nous a fallu que quelques mois pour le découvrir, le comprendre, sauver les gens, trouver un vaccin qui reste très efficace contre les formes graves… »

« On peut imaginer une avancée thérapeutique majeure, avec un produit plus efficace contre l’infection et la transmission, malgré les variants. On peut imaginer un antiviral plus efficace, peut-être. Mais on est partis pour vivre avec, or la population n'en pas compris les enjeux du fait de la stupidité de la gestion gouvernementale, avec ses mensonges et ses omissions répétés. Le Covars est totalement à la ramasse : le "A" c'est pout "anticipation" mais il n’anticipe rien du tout. Pour vacciner, sans centres dédiés, on n'y arrivera pas en plein hiver avec les médecins et les infirmiers. C’est catastrophique. »

La défiance vise aussi les vaccins...

« On reste quand même beaucoup mieux protégé quand on est vacciné. La preuve risque hélas d'en être encore donnée par la Chine, qui relâche sa politique de terreur drastique zéro-covid. Elle a vacciné peu de gens, avec des vaccins peu efficaces... c'est comme s'ils n'étaient pas vaccinés. J'ai peur que ce soit une catastrophe, mais ce sera au moins la preuve qu’Omicron qui arrive sur une population pas vaccinée entraîne une hécatombe. Comme à Hong Kong au début de l'année. »

« Or une dose protège, même contre les infections, pendant environ quatre mois. Attention, je ne dis pas qu'il faut se faire vacciner tous les quatre mois, mais au moins une fois, deux fois par an, ça fonctionne toujours. »

Comment vous voyez les années à venir ? 

« On est mal parce qu’il n’y a aucune gestion politique du covid. Je tape sur Macron, mais l’ensemble de la classe politique est lamentable, à quelques exceptions près. En ce moment, il y a une course à la queue de Mickey pour être le plus antivax possible. »

« On est très très mal barrés. Voilà. Si j’avais un mot pour qualifier les années à venir, ce serait "le marasme". Parce qu'à moins d’avoir la chance de trouver un vaccin multivariant et tout, on va se retrouver avec une dégradation généralisée de l’état de santé de la population et une baisse de la durée de vie des gens. »

« Je veux être positif malgré tout... parce qu'il ne s'agit pas de se mettre en boule dans un coin et de pleurer ! il y a des choses simples, à faire, au moins pour se protéger soi-même. Simplement, dès à présent, porter un masque FFP2 dès qu’il y a du monde et qu’on n’a pas besoin d’être visage libre. Si vous mangez avec des amis chez vous ou au restaurant, profitez de ce moment de convivialité, entrouvrez la fenêtre et c'est tout. Mais franchement... quand vous choisissez un camembert au supermarché, le fromage n'a pas besoin de voir votre tête. Alors il y en a qui disent "oui mais si je mets un masque, on me regarde de travers". Bon. Moi j’ai 64 ans, je suis médecin, et entre essuyer un regard de travers, un sourire moqueur, et attraper une maladie qui va m’affaiblir, j’ai bien vite choisi. »

 

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(1)   - « Tenir la ligne, chronique d'une pandémie », Christian Lehmann, éditions de l'Olivier, 19 euros.

 

Collé à partir de <https://www.leprogres.fr/sante/2022/12/12/covid-19-je-veux-etre-positif-mais-on-est-tres-mal-barres-alerte-christian-lehmann>