Philippe Tesson, journaliste, patron de presse et passionné de théâtre et de littérature, est mort

Le fondateur du « Quotidien de Paris », qu’il dirigea de 1974 à 1994, est mort le 1er février, à l’âge de 94 ans.

02/02/2023

Par Alain Beuve-Méry

 

image 

 

 

Philippe Tesson, fondateur du journal, lors de la relance du « Quotidien de Paris », le 28 novembre 1979, à Paris. LAURENT MAOUS /GAMMA-RAPHO

Non conformiste. S’il fallait résumer d’un trait la longue, riche et joyeuse carrière de Philippe Tesson, cette épithète est celle qui lui conviendrait le mieux. Comme quoi être fils de notaire n’empêche pas, même au XXe siècle, d’avoir un parcours digne de héros balzaciens, tirés d’Illusions perdues : à mi-chemin entre Lucien de Rubempré et Etienne Lousteau.

Les yeux bleus et malicieux du journaliste Philippe Tesson se sont clos mercredi 1er février, à Chatou (Yvelines). Journaliste, patron de presse, éditorialiste, chroniqueur culturel, animateur à la radio, polémiste à la télé, imprécateur et chef d’équipe, il a joué tous les rôles et aussi formé des générations de jeunes confrères qui ont gagné en confiance en travaillant à ses côtés.

« Je suis devenu journaliste, c’est-à-dire

un écrivain du moment »

Né le 1er mars 1928 à Wassigny (Aisne), Philippe Tesson est issu d’une famille de la bourgeoisie de province. Grâce à sa mère, passionnée de théâtre, il acquiert tôt une solide culture générale. Mais son enfance est surtout marquée par la deuxième guerre mondiale : son père est prisonnier de guerre, et des officiers allemands séjournent dans leur maison. L’ambiance était assez proche de celle décrite par Vercors dans Le Silence de la mer, dit-il. Ballotté entre sa Thiérache natale et Paris, il a été le condisciple au collège du Cateau-Cambrésis (Nord) de Pierre Mauroy, futur premier ministre de François Mitterrand, avec lequel il restera ami toute sa vie.

A la Libération, après Sciences Po, il passe le concours de la nouvelle Ecole nationale d’administration mais abandonne en cours de route. Il a 20 ans quand il entreprend un tour du monde, sans un sou en poche. Son ambition à l’époque est de devenir écrivain, mais il cale. Après avoir réussi le très sélectif concours de secrétaire des débats parlementaires, il saute le pas vers la presse, malgré les réserves de sa famille, pour laquelle le journalisme n’est pas une profession.

 

« Combat », organe d’opinion

Il achève une thèse sur « le romantisme allemand et les sources littéraires du nazisme », quand, en 1960, par l’entremise de chroniqueurs de Combat, Pierre Boutang, Maurice Clavel et Roger Stéphane, il rencontre le patron du journal, Henri Smadja. Cet homme d’affaires franco-tunisien, qui a racheté le quotidien animé à la Libération par Pascal Pia et Albert Camus, est à la recherche d’un jeune rédacteur en chef. Son profil fait l’affaire. « Je suis devenu journaliste, c’est-à-dire un écrivain du moment », résume-t-il.

Les années 1960 sont marquées par les débuts de la Ve République et l’avènement du gaullisme triomphant. Comme son patron, Philippe Tesson est favorable à l’Algérie française et hostile au général de Gaulle, position qu’il révisera plus tard. Sous sa houlette, Combat est un organe d’opinion, sans grands moyens financiers, qui privilégie l’esprit critique et donne une large place aux avis tranchés. En parallèle, il dirige une collection nommée « Le Brûlot », aux éditions de la Table ronde.

En 1965, il publie son seul véritable livre de journaliste, De Gaulle Ier (Albin Michel). Son « style » mais aussi « l’esprit déroutant de l’auteur » sont ainsi salués dans les colonnes du Monde par Jacques Fauvet, directeur de la rédaction. Les prises de position de Combat à l’occasion de Mai 68 en seront l’illustration. Le journal soutient d’abord les étudiants, avant de s’en désolidariser radicalement dès lors qu’apparaissent l’emprise et la menace gauchiste sur le mouvement.

Philippe Tesson tente alors une aventure singulière. Il est candidat sans étiquette aux élections législatives de juin, dans le 6e arrondissement de Paris. Malgré le soutien de Maurice Clavel, ce sera un flop phénoménal. Mais c’est sur le plan personnel que sa vie change. Il rencontre Marie-Claude Millet, médecin de formation, de quatorze ans sa cadette, qui devient son épouse et avec laquelle il aura trois enfants, dont l’écrivain Sylvain Tesson.

 

En février 1974, il largue les amarres de Combat et emmène une partie de la rédaction pour fonder son propre journal, Le Quotidien de Paris, dont le premier numéro sort le 4 avril. Combat cessera de paraître trois mois plus tard, après la disparition soudaine d’Henri Smadja, son propriétaire.

C’est qu’entre-temps Philippe Tesson et son épouse ont jeté les bases d’un groupe de presse prospère. Grâce au succès commercial du Quotidien du médecin, lancé en 1971 – qui se déclinera en Quotidien du pharmacien, puis du maire, il peut réaliser ses rêves et lancer un journal qui traite pour l’essentiel de politique et de culture. Chaotique, cette aventure se poursuivra pendant vingt ans, jusqu’en 1994. Insatiable, il reprend aussi en 1975 Les Nouvelles littéraires, par goût immodéré de la littérature.

 

Désaccord idéologique

Le Quotidien de Paris a connu au moins deux vies : l’une, jusqu’à la première suspension de parution en 1978, est celle d’un journal d’information et de commentaires qui privilégie le style et les débats d’idées. Les titres sont brillants : « Giscard reste », quand Chirac quitte Matignon, en 1976, ou « La nuit des longs stylos », lors de la rupture de l’union de la gauche, en 1977. A partir de la reparution, en 1979, et surtout à l’arrivée de la gauche au pouvoir, en mai 1981, Le Quotidien de Paris se transforme en un journal de combat. Dans le mois qui précède son accession à la présidence de la République, François Mitterrand prend l’initiative de rompre avec le fondateur du Quotidien de Paris, alors que les deux hommes se fréquentaient depuis les années 1960.

En 1987, il se sépare de son rédacteur en chef, Dominique Jamet, qui a osé signer un appel en faveur de la réélection de François Mitterrand. Le désaccord idéologique entre les deux hommes, longtemps très proches, est alors complet. L’écrivain Gabriel Matzneff, qui fit partie de l’aventure, le décrivait en 1980 comme « le capitaine de Tréville » de cette équipe de mousquetaires qui a compté des personnalités aussi différentes que Jean-François Kahn (aux Nouvelles littéraires), Bernard Morrot, Philippe Aubert, Georges-Marc Benamou, Catherine Pégard ou Eric Neuhoff. Car Le Quotidien de Paris représentait une autre droite, libérale et critique. « Mon journal n’est pas conforme à ce que la droite conforme attend d’un journal conforme. Pour ça, il y a Le Figaro », dit-il, en 1994, quand tout s’arrête.

Sa passion des lettres

 

Le patron de presse a dû jeter l’éponge en raison de difficultés économiques croissantes. Plus mécène que capitaliste, il a injecté des dizaines de millions de francs pour maintenir à flot le journal, refusant les aides de l’Etat. Pour lui, l’argent était avant tout un moyen, pas une fin.

Phénix éditorial, il renaît alors à la télévision, en animant le nouveau magazine littéraire « Ah ! Quels titres » avec la journaliste Patricia Martin sur France 3. Membre du prix Interallié depuis 1992, du prix Nimier depuis 1980, il renoue avec sa passion des lettres, lui qui avait été contraint de céder Les Nouvelles littéraires en 1983. Il multiplie les apparitions à la radio et à la télévision, les lunettes posées sur le haut du front. C’est dans les émissions de débat comme « Rive droite/rive gauche » qu’il donne le meilleur de lui-même, acceptant volontiers le rôle du vieux ronchon de service, savant mais pas pédant.

Il devient chroniqueur au Figaro, qui accueille de longs papiers sur la vie des idées, mais aussi à L’Express, au Figaro Magazine, au Point, joute régulièrement contre l’éditorialiste Laurent Joffrin, avec lequel il coécrit un livre sur l’état de la société, Où est passée l’autorité ? (Nil éditions, 2000).

Séducteur, débordant d’énergie, Philippe Tesson écrivait vite et à la main. Le journalisme, il ne l’avait pas appris, il le savait d’instinct. Par coquetterie, il disait volontiers qu’il avait arrêté trop tard, ce qui l’avait empêché de consacrer plus de temps à son autre passion : le théâtre. Pour lui, le journalisme devait servir avant tout à poser des questions. Et la presse oser, cultiver l’impertinence et déranger.

 

Philippe Tesson en quelques dates

1er mars 1928 Naissance à Wassigny (Aisne)

1960 Est nommé rédacteur en chef de « Combat »

4 avril 1974 Fonde « Le Quotidien de Paris »

1975 Reprend « Les Nouvelles littéraires »

2011 Devient propriétaire du Théâtre de Poche à Montparnasse

1er février 2023 Mort à Chatou (Yvelines)

 

Alain Beuve-Méry