Fin de vie des Français : enquête sur la chasse gardée des réseaux cathos

Alors que la convention citoyenne doit rendre ses travaux début avril, Emmanuel Macron a reçu des représentants des cultes jeudi soir. En France, les soins palliatifs, très militants, ont des racines chrétiennes encore vivaces. Quant aux associations « pro-vie », elles s’appuient sur des relais d’influence dissimulés derrière des sites d’information et des lignes d’écoute.


Caroline Coq-Chodorge

11 mars 2023


Sur la fin de vie, Emmanuel Macron oscille comme un pendule pris entre des forces contraires. En remettant en septembre la Légion d’honneur à Line Renaud, qui milite en faveur de la légalisation de l’euthanasie, il lui a glissé : « C’est le moment de le faire, alors nous le ferons. » Puis il a fait le voyage à Rome en octobre, pour s’entretenir du sujet avec le pape François, qui fustige la « culture du déchet » que serait à ses yeux l’aide médicale à mourir. À la suite de cet entretien, Emmanuel Macron a confié au Point : « Ma mort m’appartient-elle ? C’est une question intimidante, je ne suis pas sûr d’avoir la réponse. »

 


Alors que la convention citoyenne sur la fin de vie approche de la fin de ses travaux, Emmanuel Macron a convié, jeudi 9 mars, une dizaine de personnes à dîner à l’Élysée. Autour de sa table, des ministres et des représentants des institutions chargées d’animer le débat sociétal qu’il a lancé sur une éventuelle évolution de la situation : les auteurs de la dernière loi sur le sujet, les anciens députés Alain Claeys (PS) et Jean Leonetti (LR) ; un médecin favorable à la légalisation de l’aide médicale à mourir et une autre hostile ; le philosophe Frédéric Worms, qui s’est prononcé pour une légalisation dans des cas précis.

Étaient aussi présents les représentants des religions, tous hostiles à l’évolution de la loi : Éric de Moulins-Beaufort pour la Conférence des évêques de France, le pasteur protestant Christian Krieger, Haïm Korsia, grand rabbin de France, Chems-Eddine Hafiz, recteur de la Grande Mosquée de Paris, et Dimítrios Ploumís, métropolite grec orthodoxe. En raison de leur présence, l’équilibre des forces partisanes était ainsi en défaveur de toute évolution législative.

« Emmanuel Macron a toujours été très soucieux de ne surtout pas se mettre à dos la militance catholique qui s’est mobilisée conte le mariage pour tous, explique Céline Béraud, sociologue à l’École des hautes études en sciences sociales, spécialiste du catholicisme française. Sur la PMA, il a été d’une très extrême prudence et l’adoption de la loi en a été retardée. Ces catholiques sont très présents sur tous les sujets de bioéthique avec des argumentaires sécularisés, juridiques et “psy” notamment, qui peuvent susciter des paniques morales. »

 

Aux origines des soins palliatifs, des congrégations religieuses

Sur la fin de vie, les milieux catholiques ont cependant une légitimité : pour des raisons historiques, ils sont très présents auprès des Français à ce moment clé de leur existence, surtout lorsque leur agonie est longue, difficile. La raison en est tout d’abord historique. Le philosophe Jacques Ricot, très investi, et très conservateur sur le sujet, le rappelle dans un article consacré à l’histoire de cette spécialité médicale, qui ne vise pas à guérir, mais à soulager les malades en souffrance. « La préoccupation d’accompagner les personnes atteintes d’un mal incurable a été celle d’institutions religieuses dont le souci ne se réduisait pas à préparer les moribonds à une mort chrétienne, mais visait aussi à adoucir les vies de personnes vulnérables et pas nécessairement en fin de vie », écrit-il.

À l’origine des soins palliatifs en France, on trouve par exemple Jeanne Garnier, Lyonnaise et chrétienne convaincue qui, après avoir perdu son mari et ses deux jeunes enfants, décida de consacrer son temps et sa fortune à l’accueil de femmes « incurables ». En 1842, elle fonde à Lyon L’Œuvre du calvaire. Aujourd’hui, l’association des Dames du calvaire chapote cinq établissements de santé et médicosociaux, tous spécialisés dans les soins aux personnes âgées et handicapées et les soins palliatifs.

L’un d’entre eux, la maison Jeanne-Garnier, située à Paris, est l’un des plus importants centres de soins palliatifs en France, doté de 81 lits. Cet établissement est toujours intimement lié à l’Église catholique : aux Dames du calvaire a succédé La Xavière, une autre congrégation religieuse. Dans un petit documentaire consacré à cette institution, Marie Guillet, ancienne supérieure générale de La Xavière, raconte qu’en 1985, ces religieuses avaient été sollicitées par le cardinal Lustiger, alors archevêque de Paris, pour prendre le relais. « C’est très important que l’Église garde quelques institutions qui permettent de mettre en œuvre des questions de société dans la perspective qui est celle de l’Église. » Ainsi, la vice-présidente de la maison Jeanne-Garnier est toujours la supérieure de La Xavière, et la « médecin-chef » était, jusqu’à récemment, une de ces religieuses.

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Plus généralement, les soins palliatifs sont structurés par une société savante, la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), qui reste liée aux origines religieuses de cette spécialité, même si elle s’en défend. L’association des Dames du calvaire en est un des membres fondateurs ; et la SFAP est hébergée au sein de la maison Jeanne-Garnier, dont la nouvelle « médecin-chef » est une ancienne présidente de la SFAP. Sa présidente actuelle, la doctoresse Claire Fourcade, explique que « la SFAP est locataire de la maison Jeanne-Garnier » et réfute tout autre lien financier avec cet établissement.

À nos questions sur les origines confessionnelles des membres de la SFAP, elle explique être « incapable » de répondre : « Nous sommes une société savante dont les statuts précisent qu'elle est aconfessionnelle et apolitique. Nous n’avons donc aucune raison de poser ce type de question à nos adhérents. »

La SFAP, en tout cas, est très engagée dans le débat actuel sur une éventuelle légalisation de l’aide médicale à mourir, ouvert par le Conseil consultatif national d’éthique (CCNE) qui, pour la première fois, a estimé qu’il y a « une voie pour une application éthique d’une aide active à mourir ». La SFAP a immédiatement fermé la porte au débat, en affirmant que « donner la mort n’est pas un soin ».

 

Un « fantasme du “bien mourir” »

 

Une des affiches de la campagne « Osons vivre » de la SFAP. © SFAP

 

Depuis plusieurs semaines, la SFAP finance une campagne de communication intitulée « Osons vivre », vantant les mérites des soins palliatifs qui soignent et accompagnent « toujours », « qui apportent de la vie » aux derniers jours, qu’il ne faudrait « pas compter ».

Sur ces supports publicitaires, la SFAP n’hésite pas à repeindre la fin de vie en rose bonbon. Sur une affiche, on voit par exemple un « papi » radieux, entouré de sa fille et de sa petite-fille, et d’un « nouveau copain », le soignant de soins palliatifs, qui pose une perfusion. Sur les genoux du vieil homme somnole un gros chat roux, repu, peut-être une allégorie des Français, qui ne devraient pas s’inquiéter.

La SFAP entretient ainsi à sa manière un « certain fantasme du “bien mourir” », contre lequel le dernier avis du CCNE met en garde : « Aucune mort n’est, à proprement parler, douce, qu’elle survienne naturellement ou à la suite d’une aide active à mourir. Qu’elle soit brusque ou prolongée, accompagnée ou solitaire, naturelle ou provoquée, elle demeure une épreuve physique et métaphysique, que la médecine ne peut pas toujours atténuer. »

Si la pratique de l’euthanasie se développe dans les pays développés, si la question de sa légalisation en France est un débat presque permanent, ce n’est pas seulement en raison de la montée de l’individualisme, fustigé par les adversaires de l’aide médicale à mourir. C’est surtout en raison des progrès de la médecine qui ne cessent d’allonger la vie et permettent aussi de « vivre avec une maladie qui ne disparaîtra pas mais dont l’évolution est freinée par les traitements », de « finir son existence avec plusieurs maladies », de « vivre avec une altération sévère de ses fonctions cognitives », ou « dans une dépendance fonctionnelle majeure », énumère le CCNE. Tous les Français qui ont réclamé publiquement une aide active à mourir en France refuseraient de vivre une vie ainsi diminuée.

Face à ces demandes, le professeur Régis Aubry, médecin-chef du département « douleurs – soins palliatifs » du CHU de Besançon, et corapporteur du dernier avis du CCNE, explique avoir « bougé ». « Je suis moins sûr de moi que dans le passé. Notre médecine engendre des situations de grande vulnérabilité, dans une société qui l’accepte mal, une confrontation prolongée à la finitude. Cela m’intéresse de travailler sur ces désirs de mort. Et je ne souhaite pas être dans une forme de militantisme sur ces sujets-là. Investir la complexité est nécessaire, c’est plus intéressant que d’être dans des postures. »

Aux côtés de douze autres sociétés savantes et conseils professionnels, la SFAP a de son côté déployé un argumentaire éthique toujours plus catégorique. Légaliser une aide médicale à mourir – le suicide assisté ou l’euthanasie – reviendrait à « pervertir la notion même de soin ». Ce serait un « glissement éthique majeur », « une injonction de mort » qui pèserait « sur les plus vulnérables », à savoir les « enfants, personnes dépendantes, atteintes de troubles cognitifs ou psychiatriques, en situation de précarité, etc. ». Toutes ces personnes se trouveraient menacées « dans tous les pays ayant légalisé l’euthanasie ». Une dizaine de pays à ce jour ont légalisé une forme d’aide médicale à mourir – le suicide assisté ou l’euthanasie –, tous démocratiques – dont huit pays européens, parmi lesquels la Belgique, la Suisse, l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne.

Ces soignants sont-ils conscients qu’ils déploient un argumentaire presque identique à celui des religions, singulièrement l’Église catholique, jusque dans les termes choisis ? La Congrégation pour la doctrine de la foi, qui fixe la doctrine catholique, a détaillé sa position dans une lettre de 2020 intitulée « Samaritanus bonus, sur les soins en phases critiques et terminales de la vie », approuvée par le pape François, et qui s’adresse en particulier aux « hôpitaux et aux établissements de soins inspirés par les valeurs chrétiennes ».

Cette lettre file, tout du long, la métaphore entre le soignant et la figure du bon samaritain, « qui vient en aide à l’homme souffrant », « à l’image de Jésus Christ », et se doit de respecter « sa dignité humaine inaliénable ». L’Église catholique va plus loin encore que les soignants français en affirmant que « l’euthanasie est un crime contre la vie humaine », « un acte intrinsèquement mauvais ».

Soigner n’est pas imposer ses convictions mais respecter celles des autres.

Régis Aubry

« En France, la médecine a internalisé la conscience et la culpabilité judéo-chrétienne, estime la docteure Véronique Fournier, cardiologue, ancienne directrice de l’espace éthique de l’hôpital Cochin à Paris et ancienne présidente du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie. Même certains laïcs sont pétris de cette culture. La relation entre le clergé et ses fidèles est très semblable à celle entre le médecin et ses patients. On a été biberonnés à l’idée que le médecin sait ce qui est bon pour nous. En fin de vie, quand les autres médecins ne peuvent plus rien, ils passent le relais aux médecins de soins palliatifs, qui proposent un type d’accompagnement qui est tout à leur honneur : ils aident à lâcher prise, à se préparer à la mort. Mais tout le monde n’a pas envie de se mettre dans une situation de soumission face à la mort qui arrive, de type chrétien. »

L’autre difficulté avec la SFAP est qu’elle prétend à une représentativité qu’elle n’a pas. Claire Fourcade explique par exemple que leur réflexion éthique engage « treize organisations de soignants (dont la SFAP) », et au-delà d’eux « 800 000 soignants ». Or, ces organisations n’engagent en réalité que leurs membres, et non l’ensemble des soignants de ces spécialités.

Le 13 octobre dernier, la SFAP a rendu publics les résultats d’un sondage sous le titre, toujours catégorique : « Soignants et bénévoles refusent d’être des acteurs de la mort administrée ». En réalité, les 1 335 personnes interrogées exercent ou sont bénévoles en soins palliatifs, et ont été contactées par l’intermédiaire de la SFAP. Par ailleurs, 17 % ne sont pas opposées à une forme d’aide médicale à mourir.

Des soignants ne cachent pas leur agacement, y compris un ancien président de la SFAP, le professeur Régis Aubry : « Il y a une forte résistance, entre autres au sein de la SFAP, à toute évolution du droit. Je suis mal à l’aise avec ce registre partisan. Je comprends tout à fait qu’administrer un produit létal interroge “ce que soigner veut dire” mais j’ai une profonde conscience, comme de nombreux professionnels de soins, que soigner n’est pas imposer ses convictions mais respecter celles des autres. »

La neurologue Valérie Mesnage critique de son côté le discours de monopole sur la fin de vie de la SFAP : « Seuls 19 % des Français qui décèdent à l’hôpital meurent dans des structures de soins palliatifs », rappelle-t-elle. La neurologue est confrontée à la fin de vie de personnes atteintes de maladies neuro-dégénératives qui sont à ses yeux « l’angle mort de la législation française ». Les patients atteints de la maladie de Charcot, d’une sclérose en plaques, de la maladie de Parkinson, doivent souvent vivre avec « une perte d’autonomie globale. Ces personnes finissent par ne plus pouvoir rien faire. À quel moment peuvent-elles s’autoriser à dire qu’elles n’en peuvent plus ? On culpabilise des gens qui sont déjà au-delà de ce qu’ils pouvaient imaginer, qui savent que demain sera pire qu’aujourd’hui et ne le supportent plus ».

Aux yeux de la neurologue, le discours de la SFAP est « très culpabilisant, d’une très grande violence, à la fois pour les malades qui sont dans une demande d’aide médicale à mourir, mais aussi pour tous les professionnels de santé qui pourraient se sentir autorisés à recevoir ces demandes ».

Elle est aussi révoltée par l’argument selon lequel « il n’y aurait pas de souffrance inapaisable » : « Comment peut-on dire cela ? Même si on a fait des progrès dans la prise en charge de la douleur, des malades souffrent toujours physiquement, mais aussi d’un point de vue psychique ou moral. Ils peuvent aussi refuser de finir leur vie dans un état second alimenté par de fortes doses de morphine source d’hallucinations qui peuvent être extrêmement angoissantes. »

 

Des militants « pro-vie » qui « assiègent le législateur » 

Au-delà de cette influence diffuse, historique, des catholiques sur la fin de vie des Français, d’autres cercles catholiques sont à l’œuvre, les « pro-vie », les mêmes qui se sont mobilisés contre le mariage pour tous ou contre la PMA et militent contre l’avortement. Alliance Vita et la Fondation Jérôme Lejeune ont été auditionnées le 30 janvier par la mission d’évaluation parlementaire de la loi du 2 février 2016, dite Claeys-Leonetti.

Le président d’Alliance Vita, Tugdual Derville, et le cancérologue Olivier Trédan, qui exerce au sein du centre de lutte contre le cancer Léon-Bérard à Lyon, ont affirmé aux députés qu’il existe des milliers de bénévoles d’Alliance Vita qui défendent leur conception de la vie, et parmi eux des « centaines de soignants Vita : des gériatres, des neurologues, des réanimateurs, des spécialistes des soins palliatifs », selon le docteur Trédan. Nous avons demandé à Alliance Vita la liste de ces « soignants Vita », mais l’association a expliqué ne pas communiquer l’identité de ses membres. Le budget annuel de cette association : 2,5 millions d’euros, presque exclusivement issus des dons de ses militants.

Le docteur Trédan a ensuite détaillé l’expérience de la sédation profonde et continue jusqu’au décès, permise par la loi de 2016. Il s’est exprimé en même temps au nom des « soignants Vita », mais aussi de son « institution », le centre Léon-Bérard. Cette sédation, qui peut être demandée par un patient dont le pronostic vital est engagé à court terme, « est plutôt utilisée dans les cas extrêmes de souffrance réfractaire, explique le cancérologue. Nous privilégions généralement une sédation proportionnée, qui offre la capacité aux patients de garder par intermittence des périodes d’éveil, des interactions avec les proches lorsque cela est possible. Ce sont des moments de qualité essentiels dans ces périodes de fin de vie ».

Mais ce médecin a aussi exprimé ses réserves sur les directives anticipées du patient, qui ne devraient pas s’imposer au médecin, au risque de « faire du patient son propre prescripteur, et d[’eux], médecins, de simples exécuteurs ».

Interrogé par Mediapart sur le respect de la demande des patients, inscrite dans la loi, Olivier Trédan assure accorder « une importance toute particulière à écouter leur volonté et à recueillir leurs demandes ». Mais il ne dit pas dans quelle mesure il a à cœur de les respecter.

On avait l’impression que des gens veillaient à tous les étages de l’État, dans toutes les institutions publiques.

Véronique Fournier

« Cette militance très conservatrice, dont Alliance Vita ou la Fondation Jérôme Lejeune, demeure marginale en France, explique Céline Béraud, sociologue spécialiste du catholicisme. Mais ces réseaux ont gagné en visibilité à l’occasion des débats bioéthiques. Sur la PMA, ils ont fait le pied de grue des cabinets ministériels. Ils sont devenus des acteurs reconnus comme légitimes par le politique. »

Quand Véronique Fournier a pris la présidence du Conseil national des soins palliatifs et de la fin de vie à sa création en 2016, elle était perçue comme ouverte à l’aide médicale à mourir. Pour cette raison, elle estime aujourd’hui avoir été confrontée « au lobby catholique d’une façon extrêmement puissante. Les pressions étaient fortes. Il y avait celles de la SFAP mais, au-delà, on avait l’impression que des gens veillaient à tous les étages de l’État, dans toutes les institutions publiques ». En 2020, elle a préféré jeter l’éponge.

S’ils « assiègent le législateur », ces réseaux font aussi preuve de dissimulation pour peser sur les débats comme sur les choix intimes des Français. La Fondation Jérome Lejeune se trouve derrière le « premier site d’actualité bioéthique », le site Gènéthique. Seule indication de l’orientation idéologique de ce site : son directeur de la publication est Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Jérôme Lejeune. Ce catholique militant, membre de l’Académie pontificale pour la vie, a financé le combat judiciaire des parents de Vincent Lambert contre l’arrêt de ses traitements.

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En faisant des recherches sur la fin de vie, on tombe encore très vite sur l’Institut européen de bioéthique, basé à Bruxelles, qui se présente comme « scientifique ». Il relaie et analyse l’actualité internationale sur la fin de vie. Les deux derniers avis du CCNE renvoient en note de bas de page vers des articles de l’institut sur la législation belge ou allemande concernant la dépénalisation de l’aide active à mourir, toujours présentée comme un « bouleversement anthropologique sans précédent ». Régis Aubry, corapporteur du dernier avis, reconnaît un « manque de rigueur » de la part du CCNE.

Au conseil d’administration de cet institut, il y a quelques Français, toujours les mêmes : Jean-Marie Le Méné ou Xavier Mirabel, oncologue et chef de service au centre de lutte contre le cancer Oscar-Lambret à Lille, ancien président et conseiller médical d’Alliance Vita.

Cette association a encore deux lignes d’écoute sur la fin de vie : l’une dédiée aux malades et à leurs proches, SOS fin de vie, l’autre aux soignants, Thadeo, toutes deux animées par des bénévoles d’Alliance Vita. 

Très réactive, SOS fin de vie est une plateforme répondant en semaine jusque tard le soir. Tandis que le répondeur de la plateforme nationale d’information du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie indique que celle-ci est indisponible… jusqu’au 3 janvier.  « Cette plateforme fonctionne surtout par mail, elle est en cours de réorganisation et d’analyse de ses missions, explique Sarah Dauchy, psychiatre et présidente du centre. Nous n’avons hélas pas les moyens d’animer une plateforme d’écoute 5 jours sur 7. »

Pourtant, le besoin d’information est bien là, explique la docteure Dauchy : « Seuls 16 % des Français interrogés répondent correctement aux questions sur les connaissances majeures sur les dispositifs de fin de vie : les directives anticipées, la personne de confiance, la sédation profonde et continue jusqu’au décès et le droit au refus de soins. La situation est semblable chez les soignants : seuls 15 % répondent correctement à au moins 75 % des questions sur les droits des patients, selon une étude réalisée auprès de soignants en gériatrie. »

 

Une « énigme française »

Dernière bizarrerie : le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie est hébergé, et ses salariés payés, par la Fondation de l’œuvre de la croix Saint-Simon. L’origine de l’argent est bien publique, assure Sarah Dauchy : « Le centre national est financé sur des fonds issus du ministère de la santé, mais le choix a été fait d’un portage administratif par cette fondation, qui est chargée de gérer cet argent au nom d’une mission d’intérêt général et l’alloue à la gestion du centre national. Le comptable est public, c’est la Caisse d’assurance-maladie. La mission d’évaluation confiée à l’IGAS a conclu que cette organisation était la moins mauvaise des solutions. Et ce serait un raccourci de conclure que cette fondation exerce une influence. »

 

À l’origine de la Fondation de l’œuvre de la croix Saint-Simon, il y a une autre femme catholique et charitable, Marie de Miribel, qui a participé au début du XXe siècle à la construction du système de santé et d’assistance parisien, dans un XXe arrondissement misérable. Marie de Miribel fut aussi une résistante, une station du tramway parisien porte son nom. La fondation, à la tête de nombreux établissements de santé, sociaux et médicosociaux, est à la tête d’un patrimoine immobilier de 61 millions d’euros, issu des nombreux legs motivés par la charité chrétienne. Cette fondation, où siègent encore des Miribel, reste-t-elle « inspirée par les valeurs chrétiennes », comme l’explique l’Église catholique ? Si la question est légitime dans d’autres pays, elle ne l’est pas en France : c’est désormais une « fondation laïque ».

« Au début des années 2010, on a travaillé sur l’influence des catholiques en Europe avec des collèges belges, portugais, espagnols, italiens, explique la sociologue Céline Rigaud. A priori, la France pouvait apparaître comme la plus détachée du catholicisme. Pourtant, c’est le pays où la matrice catholique a continué de produire des effets sur tous ces enjeux : le début et la fin de la vie, la conjugalité, la sexualité. Le modèle bioéthique français, sur-moral, porté par la République, demeurait marqué par les valeurs catholiques, même s’il a connu une certaine érosion depuis. C’est une énigme française. »

Caroline Coq-Chodorge

 

Collé à partir de <https://www.mediapart.fr/journal/france/110323/fin-de-vie-des-francais-enquete-sur-la-chasse-gardee-des-reseaux-cathos>