lundi 19 juin 2023

11:21

Le naturopathe Miguel Barthéléry a été condamné en appel à deux ans de prison avec sursis pour « usurpation du titre de médecin » et « exercice illégal de la médecine » après la mort de deux de ses clients atteints de cancers.

Thérapies alternatives, homéopathie: "Nous sommes face à une lame de fond rétrograde"

Par Vincent Lautard

Dans une tribune, Vincent Lautard, infirmier et juriste en droit de la santé, s'alarme de l'essor des thérapies alternatives dans le domaine médical. Coûteuses, ces dernières sont surtout dangereuses. Pour lui, elles devraient faire l'objet d'une réglementation plus stricte.

 

Nous sommes actuellement dans une situation paradoxale. La technologie prend de plus en plus de place dans nos vies, la médecine fait de plus en plus de progrès. Pourtant, les courants antiscientifiques marquent de plus en plus les esprits. Avec la crise du Covid-19, l’explosion des courants antivax et complotistes, et l’influence des réseaux sociaux, véritable courroie de distribution du charlatanisme, la science est toujours davantage remise en cause. Va-t-on vers un siècle déstructuré ou l’obscurantisme règne en maître ?

Dans une enquête de l’institut Odoxa pour l’Unadfi (Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu victimes de sectes), d’avril 2023, 89 % des Français déclarent avoir déjà eu recours à des thérapies alternatives pour se soigner. On peut citer par exemple l’homéopathie, le jeûne, le magnétisme, la naturopathie, les huiles essentielles, la méditation ou encore la prière. Le problème majeur ne vient pas de la pratique de ces thérapies alternatives, mais du fait que de plus en plus de Français (35 %) pensent que ces dernières sont aussi efficaces, voire plus efficaces, que des traitements médicamenteux, pour traiter des maladies chroniques ou graves. Le chiffre atteint même les 50 % chez les jeunes.

 

Nous sommes donc face à une lame de fond rétrograde, où bon nombre de Français pensent par exemple qu’une « thérapie alternative », qui n’a jamais prouvé son efficacité, voire qui peut être dangereuse, est autant efficace, voire plus efficace, pour traiter un cancer, qu’un traitement médicamenteux qui sauve des vies au quotidien. Cela entraîne des drames avec des personnes qui décèdent dans d’affreuses souffrances car elles ont arrêté leur traitement anticancéreux pour suivre des thérapies alternatives, vantées par des usurpateurs qui se donnent le titre de thérapeute.

 

Juteux business

Ce mécanisme est alarmant, et s’accompagne d’un juteux business autour de ces thérapies alternatives, où les sectes et les charlatans en recherche d’argent facile prospèrent. Cette année, par exemple, un naturopathe-magnétiseur a été condamné en appel à payer des dommages et intérêts, ainsi qu’à deux ans de prison avec sursis, pour exercice illégal de la médecine. Il avait incité ses clients atteints de cancers à prendre un traitement à base de jeûnes, de cures, de crudivorisme et d'huiles essentielles, plutôt que de suivre une chimiothérapie.

Une personne de 41 ans, atteinte d’un cancer des testicules, qui avait décidé de suivre les préconisations du naturopathe, est décédée rapidement malgré un pronostic favorable. Une femme atteinte d’un cancer de l’ovaire était décédée également. D’autres affaires sont en cours actuellement, dont celle d’un naturopathe de 58 ans, mis en examen en début d'année, pour homicides involontaires, abus de faiblesse et exercice illégal de la médecine. Ce naturopathe organisait des stages de jeûne hydrique prolongé, notamment pour des personnes atteintes de maladies graves, ce qui aurait entraîné des décès. Ces « cures » pouvaient coûter plusieurs milliers d’euros.

 

Selon une étude des chercheurs de l’université de Yale aux États-Unis, en 2017, les patients atteints d’un cancer, qui choisissent de se traiter qu’avec des thérapies alternatives, ont jusqu'à cinq fois plus de risque de mourir que les patients qui prennent des traitements médicamenteux classiques. Par exemple, concernant le cancer colorectal, seulement un tiers des patients choisissant des thérapies alternatives était encore en vie au bout de cinq ans après le diagnostic, contre 79 % pour un traitement avec la médecine conventionnelle.

 

Les raisons d'un succès

Plusieurs raisons expliquent l’attrait grandissant des Français pour les thérapies alternatives. Tout d’abord, la difficulté d’accès aux soins. De plus en plus de Français ont du mal à avoir accès à un professionnel de santé, notamment à un médecin, dans un laps de temps raisonnable, ce qui les pousse donc à faire leurs propres recherches sur les troubles dont ils sont atteints, à s’auto-médiquer et à s’orienter vers des pratiques de soins non conventionnelles. La seconde raison est le retour au « tout nature » notamment prôné par des mouvances écolos confusionnistes et mises en avant dans certains médias et réseaux sociaux. Ces mouvances créent une opposition entre les thérapies alternatives qui seraient « naturelles » et « saines », et la médecine conventionnelle qui serait « chimique » et « néfaste ». Le plus ironique dans tout cela, c’est que de nombreux traitements non-conventionnels sont souvent tout sauf naturels et sont commercialisés par de gros laboratoires pharmaceutiques.

 

La troisième raison est le retour au spirituel et au religieux, notamment chez les plus jeunes, qui entraîne une méfiance envers la science. Dans l’enquête d’Odoxa, 25 % des Français déclarent utiliser des thérapies liées à la spiritualité pour se soigner. Ce chiffre atteint les 42 % chez les 18-24 ans, qui sont la tranche de la population la plus perméable à ce type de thérapie. La dernière raison, c’est que dans une société de l’immédiateté, où la bêtise et la désinformation (via les réseaux sociaux, les influenceurs, les émissions de télévision du style Touche pas à mon poste…) se propagent plus vite et plus facilement que les informations scientifiques, l’individu fait face à des discours ultra-simplistes et manipulateurs, notamment sur les questions médicales. Ces discours promettent des lendemains qui chantent, des guérisons miracles, ce qui est très rassurant. La science elle, peut être vu comme trop complexe, éloignée du quotidien des gens, voire nuisible.

 

Il est donc urgent de lutter réellement contre les déserts médicaux pour améliorer l’accès aux soins et ralentir la propagation des charlatans. Il faut aussi réguler réellement le secteur des thérapies alternatives, en établissant des règles strictes en termes d’accès à celles-ci, et de publicité de ces dernières. Il est enfin urgent que l’État et le système éducatif, mettent en place une réelle politique de vulgarisation des thématiques scientifiques, pour montrer leur intérêt au plus grand nombre. Sans cela, nous plongerons dans une société où face à une maladie grave, l’individu préférera l’illusion au réel et dilapidera son argent chez des escrocs qui se dissimulent en guérisseurs.

 

Collé à partir de <https://www.marianne.net/agora/humeurs/therapies-alternatives-homeopathie-nous-sommes-face-a-une-lame-de-fond-retrograde>