Dans les urgences débordées, une mortelle attente sur les brancards pour les personnes âgées

Une étude publiée ce lundi 6 novembre montre une hausse de la mortalité de 40 % chez les patients de plus de 75 ans quand ceux-ci restent, faute de lit, sur un brancard aux urgences pendant au moins 24 heures.

L’étude a été menée du 12 au 14 décembre 2022, dans 97 services d’accueil des urgences en France, incluant un total de 1 598 patients de plus de 75 ans. (Amélie Benoist/BSIP. AFP)

par Eric Favereau

6 novembre 2023

 

On le devinait, on le dénonçait, mais à ce niveau-là, on peut en être surpris. Une nuit passée sur un brancard aux urgences aggrave lourdement la mortalité des patients âgés. Une étude, publiée ce lundi 6 novembre dans la revue scientifique JAMA Internal Medicine, montre une hausse de mortalité de près de 40 %. «Pour la première fois, la preuve scientifique d’une surmortalité chez ces patients est apportée», analyse le professeur Yonathan Freund de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, qui a coordonné ce travail avec la Dr Mélanie Roussel du CHU de Rouen.

«D’ici la fin de l’année prochaine [2024], nous devrons avoir désengorgé tous nos services d’urgence», avait pourtant promis le président de la République, Emmanuel Macron, en avril. Un vœu pieux ? Depuis quelques années, faute de personnel, les urgences hospitalières craquent et débordent dans les couloirs. Les années Covid, bien sûr, ont largement aggravé la situation. Ainsi à Paris, un relevé est effectué tous les soirs pour connaître le nombre de patients en attente d’un lit, et traînant depuis des heures sur un brancard : plusieurs dizaines tous les jours.

 

«Personne n’arrivait»

Il y a un an, la résistante Madeleine Riffaud avait raconté son expérience à la Croix, lorsqu’elle avait dû se rendre à l’hôpital Lariboisière à Paris pour un examen d’urgence. Elle y a passé vingt-quatre heures, avant d’être transférée dans une clinique privée. «Début septembre [2022], j’ai dû me rendre aux urgences pour un examen important dû à un Covid long, variant Omicron. Le Samu m’a emmenée à l’hôpital Lariboisière, à midi et demi, le dimanche 4 septembre pour examens. Je me suis retrouvée couchée au milieu de malades qui hurlaient de douleur, de rage, d’abandon, que sais-je. Et les infirmières couraient là-dedans, débordées… Elles distribuaient des “j’arrive !” et des “ça marche”. “J’arrive, j’arrive !” Mais personne n’arrivait. Jamais.»

Cette situation d’attente n’est pas qu’inconfortable ; elle peut se révéler dramatique pour les personnes âgées, et plus généralement pour les personnes fragiles. «L’angoisse, le fait de rester des heures seul, souvent sans boire ni manger, c’est cela qui aggrave la situation. Et qui est la cause de cette surmortalité très élevée», explique Yonathan Freund. L’étude qu’il a coordonnée a été menée du 12 au 14 décembre 2022, dans 97 services d’accueil des urgences en France, incluant un total de 1 598 patients de plus de 75 ans. Le résultat est impressionnant : «Après avoir pris en compte les comorbidités et la gravité initiale des patients, cette étude montre que le fait de passer une nuit aux urgences est associé à un risque significativement plus élevé de décès intra-hospitalier : une nuit passée sur un brancard aux urgences augmente de près de 40 % le risque de mortalité hospitalière, qui passe ainsi de 11,1 % à 15,7 %.»

 

«Un risque plus élevé de délire»

«On devinait les conséquences, mais pas à ce point», insiste le médecin. Plusieurs études préliminaires rétrospectives avaient déjà suggéré que cette situation pouvait aggraver la mortalité des patients, mais sans que ce risque n’ait pu être ni clairement établi ni quantifié. «L’augmentation de la mortalité peut s’expliquer en partie par l’augmentation du taux d’événements indésirables. Des événements indésirables qui peuvent avoir été favorisés par une nuit dans un lit de camp rigide, et potentiellement par une surveillance et des soins insuffisants. Les troubles du sommeil aux urgences peuvent également avoir augmenté les risques de mortalité et de morbidité.»

D’autres éléments peuvent entre en ligne de compte : «Un temps d’attente plus long pour l’admission a été associé à une administration manquée de médicaments, voire à un risque plus élevé de délire pendant l’hospitalisation», appuie Yonathan Freund. Au final, ce sont donc plusieurs centaines de décès qui auraient pu être évités dans les couloirs des urgences, où les patients âgés représentent actuellement environ un quart de la population prise en charge.

 

Collé à partir de <https://www.liberation.fr/societe/sante/dans-les-urgences-debordees-une-mortelle-attente-sur-les-brancards-pour-les-personnes-agees-20231106_QMJGSDJAQJAVJPNMPM4MYYFKEE/>