"Mon père est mort tout seul alors que nous étions tous derrière sa porte. Nous réclamions le droit de le voir", raconte Laurent Frémont, fondateur du collectif "Tenir ta main"

Publié le 25/11/2023

Écrit par Rachida Bettioui

Le collectif "Tenir ta main", fondé en mars 2021, fait évoluer la législation sur le droit de visite en établissements et de sensibiliser l’opinion aux enjeux éthiques, en particulier en fin de vie. • © NICOLAS PARENT / MAXPPP

 

Dans le cadre de la proposition de loi "Bien Vieillir", l'Assemblée Nationale, adopte un article concernant le droit de visite "quelle que soit l'heure" dans les Ehpad où les hôpitaux, à la suite du rapport remis par Laurent Frémont, fondateur de l’association et du collectif "Tenir ta main" et enseignant en droit constitutionnel, à Sciences Po Paris.

"C’est une victoire ou plutôt le début d’une prise de conscience", confie Laurent Frémont, fondateur du collectif "Tenir ta main". Cette victoire, il la dédit à tous ceux, qui comme son père, sont partis sans voir leurs proches. Et aux proches, qui vivent, comme lui, encore un profond traumatisme de n’avoir pas pu voir leurs proches avant leur décès, et pour qui le travail de deuil reste extrêmement difficile. Laurent Frémont, enseignant en droit constitutionnel à Sciences Po Paris, n’a pas pu dire « au revoir » à son père alors qu’il était hospitalisé, et qu’il allait mourir.

"Mon père est mort, tout seul, sans personne pour l'accompagner. Sans pouvoir dire à ma mère qu'il l'aimait, sans pouvoir entendre de la part de ses enfants tant de choses qu'on avait à lui dire", raconte Laurent Fremont sur les réseaux sociaux.

À l'époque, Laurent Fremont a 29 ans et il vient de perdre son père, il y a 3 mois en novembre 2020. "Mon père est mort de solitude alors qu’on était à quelques mètres de lui. On était derrière une porte, qui restait fermée, et on nous empêchait physiquement de rentrer pour le voir", raconte-t-il, sidéré.

Son père, âgé de 70 ans était un chirurgien passionné par son métier. En pleine forme, et à quelques mois de prendre sa retraite, il contracte le covid en octobre 2020. Il est hospitalisé, dans une clinique privée à Aix-en Provenance. La famille est prévenue qu'elle ne pourra pas le voir, et qu'il est seul en réanimation. 

Au bout d'une semaine, il se réveille en pleine forme. Mais, pour autant, malgré des tests covid négatifs, prouvant qu'il n'est plus contagieux, il n’aura pas droit à des visites. Pourtant, toutes les précautions sont prises. Laurent Frémont, son frère et leur mère ont tous réalisé des tests covid qui seront négatifs. "Mon père avait, lui aussi réalisé trois tests, qui étaient tous négatifs, et nous n’avons pas été autorisés à le voir. Après une semaine de solitude absolue, mon père est mort d'une infection contractée dans ce service", relate Laurent Frémont.

Ma mère a pu entrevoir, pendant quelques minutes, le visage de son mari dans une morgue entourée par deux personnes qui étaient là pour la surveiller.

Laurent Frémont, fondateur du collectif "Tenir ta main"

Pour le jeune homme, c'est un choc. L’inhumanité ne s’arrêtera pas là. Elle se poursuit jusqu’aux derniers instants, quand la famille demande à se recueillir autour du défunt. L’entrée de la morgue leur est refusée. Après une longue bataille, seulement quelques minutes seront accordées à leur mère. "Ma mère a pu entrevoir, pendant quelques minutes, le visage de son mari dans une morgue, entourée par deux personnes qui étaient là pour la surveiller", dénonce Laurent Frémont.

La colère et les regrets d’avoir obéi aux directives animent le fils ravagé par la tristesse. Trois mois plus tard, en mars 2021, il fonde son collectif pour dénoncer toute l’inhumanité dont ont fait preuve les directives sanitaires, pendant la crise à l’égard des personnes hospitalisées, mais aussi à l’égard des personnes âgées en Ehpad.

Le constitutionnaliste dénonce la fin des libertés pour ces seniors oubliés et contraints d’obéir à un règlement les privant de voir leurs proches. "Pour eux, le droit de visite ne doit pas subir de restrictions, car l'EHPAD ou l’hôpital est le domicile privé du résident ou du patient, et donc il faut qu'il soit ouvert à toute heure pour que le résident puisse recevoir ses proches", explique Laurent Frémont.

L’appel de Laurent Frémont est entendu et il reçoit des milliers de témoignages de personnes. Se sentant soutenu, le collectif demande un hommage aux dizaines de milliers de victimes parties seules et dans des conditions indignes. L’appel est relayé par de nombreux artistes qui se sont filmés en lisant les témoignages des familles de victimes du Covid-19. Catherine Frot, Gérard Darmon, Jean-Pierre Darroussin… Ils sont 30 comédiennes et comédiens à avoir prêté leur voix pour lire les témoignages des familles des victimes. 

 

Entendu par le gouvernement, le collectif est reçu et demande à Laurent Frémont d’établir un rapport de la situation. Rapport qu’il élabore en quelques mois et qu’il remet, à Aurore Bergé, ministre des Solidarités et des Familles et Agnès Firmin-Le Bodo, ministre déléguée chargée de l’Organisation territoriale et des Professions de Santé, le 14 novembre 2023, et dans lequel il dénonce des situations inhumaines qui perdurent encore aujourd’hui.

 

Une inégalité de traitement digne 

Le rapport du collectif alerte sur la nécessité pour les résidents des EHPAD de continuer à conserver leurs droits de citoyen, notamment le droit de mener une vie familiale normale et la liberté d'aller et venir. "Les EHPAD, doivent rester des lieux de vie. Les personnes âgées ne doivent pas être traitées comme des citoyens de seconde zone ou qui ne comptent plus. L’indifférence à leur égard doit cesser. C’est notre responsabilité, à tous, de faire que tout cela doit changer", explique le fondateur du collectif.

Le collectif demande, notamment, la nécessité d’inscrire dans la loi, le droit de visite en établissements, et d’accompagner les victimes des restrictions de visite et leurs proches, en particulier en fin de vie, en "assurant une ouverture de principe, quelle que soit l'heure".

Hospitalisé trois semaines avant de décéder, nous n’avons pas pu, mes enfants et moi, lui rendre visite. C’était la prison.

Témoignage d'une victime endeuillée par la perte de son époux, hospitalisé.

Dans son rapport, il propose des pistes comme, notamment, passer par l’obtention d’un code d’accès pour rentrer dans l’EHPAD.

Le rapport dénonce une inégalité de traitement entre notamment les personnes âgées à domicile et celles en EHPAD qui ne bénéficiaient pas des mêmes droits ni des mêmes obligations.

"Au début de l’épidémie, la population entière était concernée par le confinement. Les rencontres et les sorties étaient limitées pour tous. Mais il est arrivé un moment où le confinement a été levé pour tout le monde sauf pour les personnes en établissement. Ainsi, si les personnes âgées à domicile pouvaient sortir et recevoir leur famille et leurs proches, cela n’était pas le cas pour les personnes âgées en EHPAD", rappelle Laurent Frémont.

D’autres inégalités sont exposées comme celles des traitements de faveur. "De nombreux témoignages font état de passe-droit, de faveurs, de privilèges. Tel résident a pu entretenir des lieux quasi normaux avec sa famille du fait de son statut social ; tel médecin a bénéficié de la mansuétude du directeur de l’EHPAD pour se rendre au chevet de sa mère mourante ; tel défunt a pu être enterré dignement en raison de sa notabilité locale. Or, c’est bien cette inégalité de statut et de traitement qui montre les limites des mesures d’ordre général", relate le porte-parole du Collectif.

Pour certains, cette mise en isolement de leurs proches s’apparente à un univers carcéral. Comme rapportent les nombreux témoignages recueillis par le collectif dont celui de cette épouse, privée du temps, qu’elle aurait dû avoir avec son mari : "Hospitalisé trois semaines avant de décéder, nous n’avons pas pu, mes enfants et moi, lui rendre visite. C’était la prison. Pourtant il y a eu deux semaines où il allait mieux, il était à nouveau négatif et sorti du service Covid. On nous a volé du temps précieux. J’ai juste pu le voir les trois dernières heures, car il était très mal, sous surveillance d’une infirmière (pire que le parloir en prison). Je ne me remets toujours pas de cette situation inhumaine."

"Toutes ces inégalités et ces cruautés psychologiques doivent être reconnues par le gouvernement afin que les familles endeuillées puissent se reconstruire", explicite Laurent Frémont. Le collectif réclame également une démarche mémorielle, et relaye dans son rapport l’appel des associations Victimes du Covid-19 et CoeurVide 19 qui réclament un hommage national et la construction d’un mémorial. "Une reconnaissance officielle des traumatismes engendrés par la pandémie serait indispensable au processus de réparation", souligne Laurent Frémont.

Le gouvernement s’apprête à réparer ces traumatismes et retient parmi les propositions du rapport du collectif le droit de visite quelle que soit l’heure pour les pensionnaires des EPHAD. Entendu, dans le cadre de la proposition de loi "Bien Vieillir" débattue à l'Assemblée Nationale, la proposition n’a rencontré aucun obstacle.

 

Protéger, respecter et honorer nos seniors 

Satisfait par la prise de conscience de la part du gouvernement, Laurent Frémont ne compte pas s’arrêter là, car les abus demeurent, et il souhaite faire entendre toutes les autres problématiques.

En 2020, le nombre de personnes âgées de 60 ans et plus a dépassé celui des enfants de moins de cinq ans.

L'Organisation Mondiale de la Santé.

"Les seniors sont toujours les personnes qu’on oublie ou qu’on traite de façon inhumaine" ,regrette-t-il. Pour mémoire, le scandale Orpéa, révélé en janvier 2022, où certains EHPAD maltraitent leurs résidents. "Les dérives continuent et, pourtant, nous ne sommes plus en situation de crise sanitaire. Aujourd’hui, je reçois encore des témoignages où des proches se voient refuser le droit de visite", martèle-t-il.

Avec ce droit de visite légal, Laurent Frémont espère un vrai changement, car, encore aujourd’hui, certaines directions dans des établissements prennent des décisions abusives. Ce cadre leur permettra d’être soumis à une obligation, et permettra aux familles de pouvoir s’appuyer dessus. Son rapport, propose, notamment, la création d'une instance de médiation entre les institutions et les proches, mais également d'une autorité de contrôle qui pourrait faire des visites inopinées dans les établissements ou sur saisine. D’ailleurs, dans son rapport, il recommande que soient formés tous les personnels à l'accompagnement en fin de vie en soins palliatifs.

Le combat continue pour le collectif pour défendre nos seniors et leurs proches qui n’osent jamais, par peur de représailles, contredire l’autorité en place. "Il faut remettre de l’humain. Mon père a dédié sa vie aux autres. Toujours à l’écoute, il a toujours été là, pour les proches et ses patients, et c’est cette conception de la médecine humaniste qui doit revenir dans les hôpitaux et les Ephad", recommande Laurent Frémont.

Une conception partagée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), qui alerte sur "la nécessité de changer notre façon de penser, de ressentir et d’agir en fonction de l’âge et face à l’âgisme". Le vieillissement de la population est bien plus rapide que dans le passé. En 2020, le nombre de personnes âgées de 60 ans et plus a dépassé celui des enfants de moins de cinq ans.

"Tous les pays doivent relever des défis majeurs pour préparer leurs systèmes sociaux et de santé à tirer le meilleur parti de cette mutation démographique", alerte l’organisation. Entre 2015 et 2050, la proportion des 60 ans et plus dans la population mondiale va presque doubler, passant de 12 % à 22 %.

 

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