Quel est cet architecte qui a illuminé le cœur de basalte clermontois avec ses envolées de béton ?

Publié le 06/12/2023

Le temps du béton et de la lumière L’identité architecturale qu’il a imprimée à Clermont doit beaucoup à son exigence et à son souci d’efficacité sans renoncer à l’esthétique. © MARQUET Frédéric

 

Son nom est gravé sur d’innombrables façades dans le Puy-de-Dôme. Il a laissé en héritage des villas, un immobilier urbain élégant… Il aurait gratifié Clermont d’environ 300 bâtiments entre 1930 et 1973. Parmi les plus connues, l'ancienne gare routière, en partie classée. Photos et anecdotes: sur traces de Valentin Vigneron, disparu il y a tout juste cinquante ans.

Voilà déjà un demi-siècle que Valentin Vigneron repose au cimetière Les Pradaux, près d’Issoire (*). Mais dans la métropole clermontoise, son architecture abrite encore et pour longtemps le sommeil et les déambulations de milliers de gens. Son nom survit aux réhabilitations, gravé sur d’innombrables façades et dans les gestes architecturaux d'un immobilier urbain du XXe siècle élégant… Il aurait gratifié Clermont d’environ 300 bâtiments entre 1930 et 1973 ; 800 pour le Puy-de-Dôme. Peut-être plus… De quoi écrire, loin des plus grandes capitales, les lettres de noblesse d’une architecture du XXe siècle souvent mal appréciée.

 

Le temps du béton et de la lumière

L’identité architecturale qu’il a imprimée à Clermont doit beaucoup à son exigence et à son souci d’efficacité sans renoncer à l’esthétique. Malgré de profondes restructurations, la métropole conserve sa patte comme celle de l’architecte-artiste du quotidien. Il s’installe à point nommé, en pleine urbanisation d’après-guerre. Le béton fait sa révolution : il permet de construire vite, droit, et fonctionnel, pour accompagner une démographie galopante. Parmi les premiers, Valentin Vigneron va l’imposer en ville… et en illuminer le cœur de basalte.

 

Rénové, le grand hall de la Comédie de Clermont, a gardé l'ambiance artistique et qualitative des années 1960. Photo Renaud Baldassin

 

Ses bâtiments, si familiers aux Clermontois, ont souvent fini par leur devenir invisibles. À force d’habitude, ils sont surtout devenus leur patrimoine : représentatifs d’une époque où le béton trouvait un supplément d’âme dans l’exigence de qualité et les collaborations artistiques.

 

L’homme (disparu le 4 novembre 1973 à Clermont à 65 ans)

Né à Ahun le 17 février 1908, Valentin Vigneron s’installe en 1926 à Clermont. Il y suit les cours de l’École municipale des Beaux-arts, mais il travaille aussi chez l’architecte André Papillard. Entre les deux, son cœur balance déjà. « En 1928, il s’inscrit à l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris, en continuant son apprentissage dans des agences d’architecture », rapporte l’architecte DPLG Agnès Pranal, dans son Itinéraire du Patrimoine (2000).

Peindre ou construire ? Il ne tranchera jamais, raconte Danielle Bernard, qui aimait les moments avec ce père qui l’emmenait peindre.

Archives familiales

 

Mais revenons en 1930. Sa santé le ramène en Auvergne. L’époque permet de s’installer comme architecte même sans diplôme. C’est ce qu’il fait. Il est encore très jeune, mais il comprend tout l’intérêt d’être bien entouré. Il travaille d’abord avec les architectes bien implantés. Puis avec des artisans et des artistes qui créent pour lui.

La fin de la Seconde Guerre mondiale le retrouve conseiller municipal, avec des perspectives nationales. Il fait aussi partie de l’atelier parisien d’Auguste Perret, tout juste nommé architecte en chef de la reconstruction du Havre. L’épisode l’inspire.

 

Le style

C’est pourtant bien à sa porte, auvergnate, qu’il sait trouver ce que son époque offre de meilleur : mentors en architecture, entrepreneurs, artisans, artistes…

Photo Fred MARQUET 

 

La "patte Vigneron" tient à ce qu'il compose avec eux,  à ses dentelles de béton et à de puissantes envolées. Le béton de l'architecte inscrit dans le paysage urbain des lignes tendues, des colonnes tronconiques qui élancent les premiers niveaux vers des étages élevés.

C'est encore son style élancé que l'on retrouve au carrefour de l'école Nestor-Perret: les immeubles d'angles sont de lui.

 

 Photo Fred Marquet

 

Ce fameux 14 février qui était pour nous un grand jour de fête car il recevait à la maison tous ses nombreux amis. 

Il lègue ainsi comme un "style Vigneron" fait de  bâtiments clairs, de traitement magistraux pour les entrées, de larges corniches, de coupoles, de pavés en verre. Et surtout il imagine ces claustras en triangle : les "V" de béton, qui signent Vigneron… Ou peut-être Valentin, un prénom hérité de sa venue au monde un 14 février précise sa fille. "Ce fameux 14 février qui était pour nous un grand jour de fête car il recevait à la maison tous ses nombreux amis." 

A ses débuts architecturaux, avec Pierre Verdier notamment, Valentin Vigneron est encore tout jeune mais il se fait vite remarquer. L'architecte clermontois, qui a déjà imaginé la première tranche du bâtiment Prisunic (actuel Monoprix), boulevard Desaix, lui fait confiance. Au point de l’associer à la deuxième tranche d'un bâtiment qui illustre ce nouvel usage urbain du béton, en ondulations et en rythmes élancés.

Photo Fred Marquet

 

Le jeune architecte saura imposer ses codes. L’époque est favorable aux gestes architecturaux, avec les nouvelles possibilités qu’ouvrent l’utilisation du béton armé et l’incitation à construire vite et beaucoup.

L’alignement de trop de façades, tant sur l’avenue Julien que sur la rue Colbert, n’incite plus à apprécier celui de l'architecte. Mais quand on s’y arrête, la marque de Valentin Vigneron saute aux yeux. L’immeuble construit en 1958 reprend tous les codes : les colonnes, les balcons, et ces dentelles de bétons en V alignés, tant à la verticale qu’à l’horizontale sur chaque balcon.

 

Photo Fred Marquet

 

Les étages ont un peu vieilli, mais le hall d’entrée du 22 rue Colbert garde un charme qualitatif.

2 et 4 rue Nadaud

 

L’architecte est peintre, alors son béton prend aussi de la couleur : des touches d’orange et des vagues.

Ailleurs, comme au 15 rue Bonnabaud, au-delà des lignes élancées et de l’angle de rue joliment traité, c’est le dôme qui signe la marque de Vigneron (1935).

 

15 rue bonnabaud

 

L’architecte ira vers d’autres styles, en béton plus allégés, audacieusement relevés d’une seule grande corniche, avec des décrochages verticaux (33 bd Duclaux, 1936, ou 43 boulevard Aristide-Briand, 1939), ou vers une ordonnance plus classique (2 rue Rameau, 1, rue Bonnabaud).

33 boulevard Duclaux

 

Souvent des pépites. Aller chercher ses villas, c’est presque un jeu de piste quand on a les clefs. Il en a sans doute essaimé plus de 200, explorant la matière et les styles au gré des commandes pour les classes moyennes à fortunées qui s’établissent sur l’ouest de Clermont.

Rien à voir entre la villa chamaliéroise du 3 rue des Rapeaux, la Clermontoise des 38bis et 40 Bd Cote-Blatin, celle du 52 av. des Landais à Aubière, ou encore celle qu’il construit au 110 Bd Lavoisier en 1937.

Dans le brouhaha de la circulation, au 193 av. de la Libération, il faut pourtant aller dénicher « Lise » et son agencement singulier de briques. Cinq arches verticales de béton rythment l’édifice qui porte, comme en totem, un bas-relief commandé une fois encore à Raymond Coulon : « Les âges de la vie ».

On pense rarement à lever le regard, pour suivre la façade blanche, saillante de balconnades étranges, de l’ancien hôtel Savoy.

 

Photo Fred Marquet

 

Il est pourtant en cœur de ville, derrière l’opéra de Clermont, à l’angle des rues de la Préfecture et Nestor-Perret. Valentin Vigneron y a exploré une voie moderniste à la croisée du cubisme des années 1930 et des lignes inspirant l’art de vivre façon Bauhaus allemand. L’inauguration de 1936 le cite comme « Le plus moderne du Centre de Clermont ». Un incendie le fait fermer en 1996. Il devient ensuite résidentiel.

Rien qu’entre 1930 à 1944, Valenti Vigneron a réalisé 206 opérations, dont 46 immeubles et 56 villas ou hôtels particuliers. Il laisse derrière lui toute l’originalité de ses maisons et des immeubles imposants que l’on fréquente rues Colbert, Bonnabaud, place des Salins, boulevard Desaix…

Un peintre et des centaines de toiles

Il a exercé comme architecte jusqu’en 1973 avec sa fille Danielle Bernard, qu’il emmenait aussi peindre, enfant, et qui parle de lui comme d’un « homme complet ». « Mon papa, c’était un artiste avant tout. Mais pas un artiste fantasque. Avec son talent et son fort caractère, il a pu mener une vie d’homme d’affaires exceptionnel ! »

 

Son frère, Pierre Vigneron, a aussi livré de précieux éléments de compréhension sur l’homme que fut Valentin Vigneron : fils d’ouvrier du bâtiment que le travail et la passion ont érigé en référence. Il ne se voyait pourtant ni précurseur, ni révolutionnaire. « Simplement, il correspondait à la logique et à l’esprit de son métier […] Mon père venait d’un milieu modeste, sans doute en a-t-il gardé certains complexes tout au long de son existence. Et il a dévoré des livres et des livres, chaque soir, acquérant ainsi un bagage culturel phénoménal. »

Un bâtiment classé et un quartier emblématique

"J’admire ce qui s’est passé autour de la place des Salins", avoue Danielle Bernard, dernière et seule fille des quatre enfants de Valentin Vigneron. On la comprend.

Le centre ville et un vaste quartier s’identifient ici aux volumes imaginés par ce père disparu depuis un demi-siècle. A lui, et à son fils aussi, dans une dynastie familiale qui a laissé, derrière Valentin, neuf autres Vigneron architectes ; elle comprise.

On connaît l’ancienne gare routière de mon père et la façade du Crédit agricole. Mais l’alignement comprend aussi la Maison de la culture faite par mon frère Michel Vigneron disparu il y a vingt ans. De l’autre côté, vers l’école Nestor-Perret, les quatre angles de la rue sont des bâtiments de mon père.

D’autres immeubles aussi. La façade et le grand hall de l’ancienne gare routière sont passés à la postérité avec un classement à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques.

 

Mise en service de la Gare routière à Clermont-Ferrand le 26 Mars 1963. Gare routière (1961-64). Clermont est alors un nœud incontournable pour les transports en autobus. L’inauguration est un événement; on parle d’une réalisation unique en France "même en Europe entière". Photo Raymond Vallat.

 

Il avait imaginé des quais à auvents-passerelles. Mais c’est bien le grand hall; richement décoré sous une hauteur de cathédrale, qui sidère les premiers utilisateurs.

 

Intégrés dans l’actuelle Comédie de Clermont, ils témoignent d’un architecte qui s’intéressait aux usagers, mai aussi aux artisans et aux artistes.

 

La place qu’il accorde à leurs fresques et ornements est indissociables de sa vision architecturale.

 

La Gare routière témoigne de son intérêt pour les arts, le travail du peintre Louis Dussour et du sculpteur Raymond Coulon, notamment. Photo Raymond Vallat.

Les Salins, préservés dans l’alignement du bâtiment classés, les façades du Crédit Agricole (ex-Mutualité agricole) reprennent leur place après plusieurs années de travaux, marquant de leur imposante stature l’angle du Boulevard François-Mitterrand de l’avenue de la Libération.

 

Photo Fred Marquet

 

Pour emporter le concours d’une réhabilitation à 67 M€, le cabinet Soho a dû conserver l’architecture Vigneron dans une relecture « axée sur le dialogue fort entre l’histoire et le futur, symbolisé par un côté ville, avec son image patrimoniale et ses façades historiques, et un côté cour, traité en jardin aux façades contemporaines diaphanes ».

Les deux époques se sont finalement trouvées, prêtes à dialoguer pour de nouvelles décennies. 

Anne Bourges

anne.bourges@centrefrance.com

 

Collé à partir de <https://www.lamontagne.fr/clermont-ferrand-63000/loisirs/quel-est-cet-architecte-qui-a-illumine-le-cur-de-basalte-clermontois-avec-ses-envolees-de-beton_14411864/>