lundi 19 juin 2023

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Politique

LFI, le RN et les juifs: Serge Klarsfeld a raison et je ne suis pas d'accord

Jean-Marc Proust — Édité par Émile Vaizand - 21 juin 2024

Il est juif, je ne le suis pas. Dans un second tour, face à LFI, il est prêt à voter pour le RN. Moi non et je ne le serai jamais. Hélas, je crains de comprendre son choix autant que je le réprouve.

 

Serge Klarsfeld (devant son fils Arno), au Mémorial de l'Holocauste de Berlin, en marge de la visite officielle d'Emmanuel Macron en Allemagne, le 27 mai 2024. | Sean Gallup / Getty Images Europe / AFP

 

Interrogé le 15 juin sur LCI par Darius Rochebin sur sa position face à l'éventuel «dilemme» d'un second tour opposant le Rassemblement national (RN) et La France insoumise (LFI) aux prochaines élections législatives, l'historien Serge Klarsfeld a répondu ceci: «Je n'aurais pas d'hésitation. Je voterais pour le Rassemblement national.»

Le chasseur de nazis prêt à voter pour un parti fondé par d'anciens Waffen-SS? L'incrédulité est forte. Mais ce qu'il dit ensuite explique son choix: le RN a «fait sa mue», tandis que «l'extrême gauche est sous l'emprise de La France insoumise avec des relents antisémites et un violent antisionisme». Mercredi 19 juin, son fils Arno lui a emboîté le pas sur BFMTV.

Les mots de Serge Klarsfeld choquent et c'est légitime. Je ne m'y reconnais qu'à moitié. Oui, le RN a fait sa mue mais, à mes yeux, ce n'est qu'une façade. L'extrême droite est ripolinée, mais elle reste une menace. En revanche, ce qu'il dit de LFI est vrai. Et nous le savons.

 

LFI est devenue une menace antisémite

Car ses propos reflètent probablement la pensée d'un électorat juif déboussolé qui trouve parfois refuge dans les bras du RN, même si cela reste très difficile à quantifier. Une récente enquête de l'IFOP, publiée en avril 2024, est plus explicite. 53% des personnes interrogées pensent que LFI contribue à la montée de l'antisémitisme en France. Le pourcentage monte même à 92% pour les personnes de confession juive. Les Écologistes - EELV arrivent derrière, avec 28% de la population, mais 60% chez les personnes de confession juive. Pour le RN, les résultats sont de 51% pour l'ensemble de la population et de 49% pour les Français juifs. Ces chiffres brûlent les yeux.

Après les attaques du Hamas, le 7 octobre 2023, Marine Le Pen n'a pas hésité à parler de «pogrom» et à qualifier le Hamas de terroriste. À l'inverse, LFI n'a cessé de louvoyer pour ne pas employer ces mots, suscitant de facto des questions récurrentes face à cet étrange refus. Marine Le Pen s'est affichée à la marche «pour la République et contre l'antisémitisme» du 12 novembre 2023; LFI l'a soigneusement ignorée.

Qu'en déduire? Qu'en déduire comme juif et comme non-juif?

 

Les juifs quittent la gauche (qui ne les accueille plus)

Tristement, nous regardons Serge Klarsfeld partir vers le RN comme de nombreux autres Français juifs l'ont déjà fait. Les Français juifs votaient plutôt à gauche; ce n'est plus le cas. Et désormais, l'extrême droite les attire plus ou moins. Alors, oublions la lune et regardons le doigt: où est la gauche qui ne les accueille plus et les rejette? Comment expliquer que cette gauche ne soit plus fraternelle mais séparatrice, qu'elle ne soit plus perçue comme protectrice mais comme menaçante?

La France insoumise a utilisé la guerre dans la bande de Gaza comme un appeau électoral. En faisant de ce conflit un sujet majeur dans le débat français, ce parti a joué sciemment avec une guerre de religion, dressant les musulmans contre les juifs. Un choix électoral cynique, qui s'appuie sur le nombre: près de 10% de la population pour les premiers, moins de 1% pour les seconds. Un choix électoral inique, qui parie sur le fait qu'être de confession musulmane, c'est haïr les juifs. Un choix électoral maléfique, qui renforce les communautés et détruit l'unité républicaine.

 

LFI a enrichi l'antisémitisme français

Je ne crois pas que LFI soit un parti antisémite, même si plusieurs de ses figures le sont très probablement. En revanche, les mots choisis, les silences et les atermoiements lui ont permis de flirter avec l'antisémitisme, par calcul électoral. Au moment où le nombre d'actes antisémites recensés en France a bondi, était-il juste et sain de parler d'antisémitisme «résiduel», comme l'a fait Jean-Luc Mélenchon le 2 juin? LFI consacre beaucoup de temps, énormément de temps, à se justifier sans jamais trouver quelques mots simples d'apaisement. Qu'en déduire?

La stratégie de LFI a promu un antisémitisme musulman, un antisémitisme de quatrième génération, succédant, se greffant, enrichissant et se fondant dans les précédents: antisémitisme catholique, racial et anticapitaliste. La responsabilité de ce parti devant l'histoire est immense. Malheureusement, La France insoumise n'est pas seule en cause.

 

Une responsabilité collective

Collectivement, nous avons abandonné nos concitoyens juifs à leur sort. Nous avons lâchement détourné le regard. Nous n'avons pas su voir ce qui montait derrière les tortures subies par Ilan Halimi (région parisienne, janvier 2006), l'assassinat d'enfants juifs au collège Ozar Hatorah (Toulouse, le 19 mars 2012), celui de Mireille Knoll (Paris, le 23 mars 2018). Nous avons parfois protesté, marché. Pas assez.

Les otages du Hamas? Nous n'y pensons guère. Certains ont (avaient) la double nationalité: leur nationalité française a été ignorée, les éloignant de notre compassion tandis que les affichettes réclamant leur libération étaient arrachées. Mais tous les otages ont été occultés. Notre indifférence constante à leur égard est stupéfiante.

En mai 1990, après que les tombes juives de Carpentras (Vaucluse) ont été profanées, François Mitterrand avait participé à une marche d'unité. Le 12 novembre 2023, Emmanuel Macron a décidé de s'abstenir, posture jupitérienne particulièrement malvenue. Son absence est une faute: il a montré qu'il n'y avait pas d'unité nationale contre l'antisémitisme.

Cette absence d'unité nous a permis de détourner le regard. Les enfants juifs quittaient l'école publique pour aller dans des écoles privées, sous haute surveillance? Un repli communautaire, disions-nous. Les «quenelles» de Dieudonné et les diatribes d'Alain Soral s'épanouissaient. On ne disait pas grand-chose.

Durant la campagne des élections européennes, Raphaël Glucksmann ou Jérôme Guedj ont été assignés à résidence. Mais ils ne sont pas seuls: être juif en France signifie soutenir la politique de Benyamin Netanyahou. L'antisémitisme est là, qui extrapole du hasard de la naissance un sionisme «colonial», une complicité de «génocide». Qu'avons-nous fait alors? Nous avons, encore, laissé faire et dire, avec impuissance, colère, approbation ou indifférence. Notre responsabilité est collective: LFI n'est que la partie émergée de l'iceberg.

Je n'oublie aucunement l'histoire du Rassemblement national et je suis persuadé que l'antisémitisme y existe encore, qu'il n'y est en rien résiduel. Pour cela et tant d'autres raisons, tout en moi refuse la moindre complaisance à l'égard de ce parti. Or, je constate avec douleur que le RN apparaît aujourd'hui comme un possible refuge pour mes compatriotes juifs, parce que la gauche leur fait peur.

 

Je ne suis pas juif et c'est bien facile

Avant de tomber à bras raccourcis sur Serge Klarsfeld, posons-nous cette question: comment est-il possible que la gauche fasse peur aux juifs? Comment avons-nous pu laisser cela advenir?

Ses propos choquent à gauche? Tant mieux. C'est peut-être le début d'une prise de conscience.

Qui suis-je, moi qui ne suis pas juif, pour juger? Que sais-je de ce que cela signifie aujourd'hui de voir une croix gammée ici, de subir une agression là? Est-ce que je sens une menace dans ma vie? Dois-je me poser la question de savoir si je sors tranquillement dans la rue et si mes enfants peuvent aller sereinement à l'école? Me demande-t-on raison de ce qui se passe dans la bande de Gaza?

Je ne sais ni ne vis rien de tout cela. Alors, désolé, mais je ne juge pas Serge Klarsfeld. Je l'écoute. Son choix, je ne sais pas s'il parle au futur ou au conditionnel, m'attriste profondément. Mais je me garde bien de lui donner des leçons.

Jean-Marc Proust

Collé à partir de <https://www.slate.fr/story/266274/serge-klarsfeld-a-raison-je-ne-suis-pas-accord-lfi-rn-juifs-elections-legislatives-antisemitisme>