Emmanuel Macron ou l'audace de l'imbécile

Laurent Sagalovitsch - 11 juin 2024 à 12h01

 

Gouverner ne consiste pas à jeter des pièces en l'air et à prier pour qu'elles tombent du bon côté de l'histoire.

Le président Emmanuel Macron lors de son allocution télévisée du 9 juin 2024, durant laquelle il a annoncé la dissolution de l'Assemblée nationale et convoqué de nouvelles élections législatives les 30 juin et 7 juillet. | Ludovic Marin / AFP

 

Emmanuel Macron a l'audace des imbéciles. Quand ils se retrouvent à court d'idées, ils en inventent une si grossière qu'elle sidère tout son monde. L'imbécile devient alors fanfaron. On le voit qui plastronne au grand jour, ravi d'en avoir surpris plus d'un. Il rit de son coup comme le voleur qui revend à sa victime les marchandises qu'il vient de lui dérober. Il est si content de son tour de force que c'est à peine si les conséquences de ses actes l'effleurent. Il sera toujours temps d'y penser si jamais les choses allaient de travers.

L'annonce de la dissolution de l'Assemblée nationale n'est pas un coup de poker, c'est l'irruption d'un égarement qui dit l'impuissance du chef de l'État à reprendre la situation en main. Au lieu de s'accorder le temps de la réflexion, de considérer les forces en présence, de consulter et d'examiner les réponses à apporter aux résultats des élections européennes, il préfère prendre la tangente en jouant tapis avec la démocratie.

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Ce pourrait être de la témérité, c'est juste un enfantillage, un pari adolescent qui permet d'enjamber la mauvaise séquence de son parti, tout en mettant les Français face à leurs responsabilités: «Vous avez voulu le Rassemblement national, eh bien, je vous l'offre sur un plateau, voyons voir si votre courage ira jusqu'à le porter aux plus hautes responsabilités.» Le président ne préside pas, il crâne comme ces caporaux qui, au lendemain d'une déroute militaire, remettent leurs galons en jeu, sûrs que personne, au regard du délabrement des troupes, n'osera prendre le risque de les remplacer.

En cela, Emmanuel Macron est fidèle à l'image qu'il n'aura cessé d'envoyer depuis son accession à l'Élysée. Un homme sans constance qui manque de profondeur et de rigueur dès lors qu'il se retrouve confronté à des situations périlleuses. Une forme de légèreté ou d'insouciance qui peut parfois s'apparenter à du panache, mais qui apparaît la plupart du temps comme la marque d'un individu plus soucieux de la forme que du fond. Emmanuel Macron est un homme à la recherche de lui-même.

Au lieu de mettre à profit les trois prochaines années avant la présidentielle, Emmanuel Macron a préféré jouer au flambeur de casino en mettant la démocratie comme gage.

Quelque chose lui fait défaut, une forme de sincérité, de gravité, de ce sentiment pénétrant de l'importance des choses. On a toujours l'impression qu'il joue sa vie plus qu'il ne la vit, forme de romantisme désinvolte qui peut l'amener à changer mille fois de raisonnements, comme si au fond rien n'était vraiment fixé chez lui, ni sa vision du pays ni la manière de conduire les affaires.

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Il ressemble à ces acteurs qui, bien que doués, ne sont ni faits pour la tragédie ni pour la comédie. Ils hésitent toujours entre les deux; et quand leur carrière s'achève, à force de ne s'être illustrés nulle part, on ne retient d'eux rien, si ce n'est un potentiel qui ne s'est jamais vraiment réalisé. Ainsi va Emmanuel Macron, tantôt grandiloquent et donneur de leçons, souvent girouette qui obéit sous le coup d'une impulsion considérée a posteriori comme un trait de caractère bien trempé.

On ne mesure pas à quel point l'arrivée du Rassemblement national serait un séisme pour la nation. Pareille ascension signifierait non seulement une défaite de la pensée, un renoncement aux valeurs fondatrices de la République. Elle ouvrirait aussi une période où la démocratie serait confisquée aux profits d'un clan constitué de tout un appareil d'hommes et de femmes chez qui la volonté d'instaurer un régime autoritaire et violent ne fait guère de doutes.

Personne ne sait exactement à quoi ressemble l'arrière-cour du Rassemblement national, de tout ce grouillement d'individus qui, profitant de l'image de respectabilité affichée par les caciques du parti, continuent en sourdine à s'abreuver aux sources d'un nationalisme affranchi de toute pudeur. Ils apparaîtront à la lumière à l'heure voulue, quand Jordan Bardella et consorts gouverneront le pays. Alors nous découvrirons, effarés, que rien n'a vraiment changé, que les mêmes turpitudes, les mêmes haines, les mêmes ressentiments les animent, ce désir d'une France pure et blanche protégée de la racaille venue de l'étranger.

Tout cela, Emmanuel Macron le sait. Cependant, au lieu de mettre à profit les trois années qui nous séparaient de la prochaine élection présidentielle pour tâcher de constituer un socle à même de s'opposer aux velléités du Rassemblement national, il a préféré jouer au flambeur de casino en mettant la démocratie comme gage. Il s'est ainsi trahi à lui-même et à sa fonction.

Gouverner ne consiste pas à jeter des pièces en l'air et à prier pour qu'elles tombent du bon côté de l'histoire. Ou à pointer un revolver sur la tempe du peuple en le sommant de choisir entre lui et le chaos. Cela se nomme au mieux du chantage, au pire une invitation au suicide. Dans tous les cas, une manière d'agir qui relève plus de la prestidigitation que de l'exercice du pouvoir.

Laurent Sagalovitsch

 

Collé à partir de <https://www.slate.fr/story/267159/blog-sagalovitsch-emmanuel-macron-audace-imbecile-europennes-dissolution-assemblee-nationale>