La faute morale de Serge Klarsfeld
Laurent Sagalovitsch - 18 juin 2024
En toutes circonstances, voter pour un parti comme le Rassemblement national, c'est voter pour un parti dont les valeurs se situent aux antipodes du judaïsme.
Serge Klarsfeld à la marche contre l'antisémitisme à Paris, le 12 novembre 2023. | Serge Tenani / Hans Lucas via AFP
Il est des chroniques qu'on aimerait ne pas avoir à écrire. Celle-ci en fait indubitablement partie. Elle est une réponse à la déclaration de Serge Klarsfeld affirmant qu'au regard de la situation politique actuelle, si d'aventure il avait à choisir entre voter pour le Rassemblement national et le Nouveau Front populaire, son suffrage se porterait sur le premier. Précisons: il ne dit pas qu'il voterait en première intention pour ce parti, seulement au cas où il serait opposé à la coalition des partis de gauche.
Cette position a le mérite de la clarté. Pour Serge Klarsfeld, non seulement l'antisémitisme se situe désormais du côté de La France insoumise mais à ses yeux, il a aussi disparu de la matrice idéologique du parti de Marine Le Pen. Disons-le tout net, cette affirmation a de quoi choquer, pas tant dans la dimension antisémite prêtée à LFI mais dans son blanc-seing accordé au Rassemblement national.
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Que La France insoumise abrite en son sein des individus qui se sont illustrés par des propos d'une rare violence contre Israël, cela n'est plus à démontrer. Que ce parti s'entende comme personne pour flirter toujours avec la ligne rouge où derrière la défense du peuple palestinien, se dessine une tendance très claire à considérer l'Israélien et à travers lui, le juif en général, comme une force hostile qu'il faut combattre par tous les moyens, cela aussi relève de l'évidence. Que ses atermoiements, ses précautions oratoires, ses mille détours à dénoncer avec toute la vigueur nécessaire les massacres commis par le Hamas renforcent encore un peu plus l'idée d'un parti pour qui l'indignation s'arrête là où commence la souffrance juive, cette affirmation aussi ne saurait être remise en question.
Ou pour le dire autrement, le juif français, encore plus s'il place la défense d'Israël au cœur de son identité, n'a aucune raison, à moins de souffrir d'un syndrome de Stockholm avéré, de voter pour ce parti, même d'une manière indirecte à travers le Nouveau Front populaire. Mais d'aucune manière, ces considérations ne sauraient se transformer en adhésion aux idées défendues par le Rassemblement national. Le parti d'extrême droite demeure qu'on le veuille ou non un parti dont l'idée centrale, à savoir la préférence nationale, porte en son germe les traits qui sont ceux de l'antisémitisme pur et dur.
Qu'est-ce que la préférence nationale si ce n'est l'affirmation qu'il existe au sein de la nation française deux catégories d'individus bien distinctes, ceux que le droit considère comme des citoyens français et ceux dont les circonstances de la naissance les interdisent de jouir d'un pareil privilège? Il faut être aveugle pour ne pas voir dans cette odieuse différenciation une hiérarchisation de l'identité, un tri opéré entre le Français bon teint et l'étranger lequel, par le fait même de sa condition, ne saurait jouir des mêmes droits.
Si à cette simple énonciation, le juif ne se met pas à trembler, c'est soit qu'il a oublié qui il était, un étranger de toute éternité, soit qu'il considère que son attachement à la nation française n'étant plus à démontrer, il n'a pas à craindre de pareilles dispositions. Auquel cas, il se prépare à des lendemains douloureux. L'établissement de lois qui tendraient à différencier les citoyens d'un même pays selon des critères de naissance finit toujours, tôt ou tard, par déboucher sur un racisme et un antisémitisme institutionnel.
Au début, on considérera que seuls sont considérés comme Français ceux disposant d'un passeport français. Bien vite, en s'apercevant que cette mesure ne permet en aucun cas de favoriser le Français de souche sur son voisin, on y ajoutera un degré supplémentaire en affirmant que la simple détention d'un titre de nationalité ne suffit pas. Il faudra aussi être né sur le territoire national, avant que, cette condition concernant encore trop de monde, il ne soit exigé qu'un de ses deux parents jouisse lui aussi de la nationalité française, puis ce sera les deux, avant de remonter l'arbre généalogique d'un cran, et ainsi de suite, dans une quête de pureté qui ne connaîtra jamais de fin.
Le juif étant par nature une pièce rapportée, il sera un jour ou l'autre mis à l'index. Peut-être ne le sera-t-il pas en tant que juif mais les particularismes de son histoire personnelle, cette identité morcelée fruit d'héritages divers, feront de lui, au regard de la loi, un étranger. Qui oublie cette évidence se dérobe à tous ses devoirs. Quand dans ses veines coule le sang de l'exil, au regard des tragédies des temps passés, de par toutes les souffrances dont il a été accablé, le juif, fut-il présent sur le territoire national depuis des générations, a le devoir de s'élever contre une pareille infamie. Pas seulement pour se préserver mais au nom d'une morale, d'une histoire qui l'oblige à se dresser contre toutes formes de discrimination.
Toute personne née en France devrait être française dès sa naissance
S'il ne le fait pas, alors il renonce à être juif. Il commet une sorte de fratricide contre ses frères humains, contre lui-même. Il moque le destin de tous ceux morts d'être nés juifs. Il est une insulte à l'histoire même de son peuple. «Il sera pour vous comme l'un des vôtres, l'étranger qui habite avec vous, et tu l'aimeras comme toi-même, car vous avez été étrangers en terre d'Égypte», est-il écrit dans la Bible. Celui qui oublie cet enseignement se perd dans la nuit noire de la transgression, du renoncement aux principes moraux attachés à sa condition. Il se trahit à lui-même et aux autres.
Aussi, il est peu de dire que Serge Klarsfeld, en affirmant que le Rassemblement national ne constitue plus un danger pour le juif, se trompe lourdement. Non seulement il oublie à quel point cette formation politique se trouve être constituée d'individus dont l'antisémitisme n'est plus à démontrer, mais il se fait le complice d'une politique qui de tous temps a débouché sur la persécution de ses semblables.
C'est là une faute morale que nous ne pouvons passer sous silence. L'immense travail accompli par Serge Klarsfeld dans la recherche des criminels nazis, pas plus que son âge avancé, ne sauraient excuser un égarement pareil. L'aversion légitime pour La France insoumise ne peut s'acoquiner d'aucune tendresse vis-à-vis du Rassemblement national. Il faut être entier dans ses indignations. Dénoncer dans le même mouvement la complaisance coupable des Insoumis pour une certaine forme d'antisémitisme et dire son rejet absolu de tout parti qui procéderait à une sélection entre les individus d'une même nation.
Il ne peut exister d'ambiguïté à ce sujet.
Et si les circonstances électorales amènent à devoir choisir entre le Rassemblement national et le Nouveau Front populaire, le mieux est encore de choisir le moindre mal ou ne pas choisir du tout.
Collé à partir de <https://www.slate.fr/story/267249/blog-sagalovitsch-faute-morale-serge-klarsfeld-antisemitisme-france-insoumise-vote-rassemblement-national-extreme-droite-juifs>