An-ti-cons-ti-tu-tion-nelle-ment
Non mais franchement, ces Insoumis, qui refusent de serrer la main au benjamin RN de l'Assemblée, en montant déposer le bulletin dans l'urne ! "Ridicule !" Ils sont tous d'accord, sur le plateau de LCI, Arlette Chabot, Jean Quatremer (de Libé), Etienne Gernelle (du Point). Tous d'accord, entre adultes responsables, pour dépolitiser le geste, le ramener à un caprice, des enfantillages, envers "ce garçon de 22 ans" (Chabot). C'est l'image du jour, ce défilé des refuzniks de la poignée de mains. Tellement ridicule que LCI en tresse des boucles qu'elle passe en boucle, une boucle d'enfantillages, pendant que pérorent les grandes personnes. Comme dit Chabot : "y'a un truc qui va pas, là-dedans".
L'image du jour, assurément. Bien plus présente sur les écrans que l'autre possible image du jour, les 17 ministres-députés, glissant leurs 17 bulletins dans l'urne, pour faire gagner de 13 voix Yaël Braun-Pivet contre André Chassaigne. Celle-là, LCI n'en fait pas de boucles. On pose gravement la question. Ont-ils le droit ? Oui ? Non ? "Baroque" sussure Géraldine Woessner (du Point). "Baroque" est l'adjectif qui revient le plus, le summum de l'irrévérence sur les plateaux.
Epelons ensemble.
compte X Sarah Legrain, 18 juillet 2024
Tous les constitutionnalistes de France sont requis. En France, on n'a plus d'état de droit, mais on a des constitutionnalistes. C'est une richesse nationale. Un trésor. Ils sont tous très forts. Très forts pour embrouiller (j'ai lu ça, par exemple, et toujours pas compris à la fin) ce qui devrait être très simple : il existe en France une séparation des pouvoirs, théorisée par un certain Montesquieu, qu'on apprend à l'école. L'exécutif et le législatif sont deux pouvoirs distincts, c'est sur leur équilibre que repose la démocratie. Si vous estimez que la constitution n'offre pas de réponse sur le cas précis des ministres-démissionnaires-mais-toujhours-en-poste-sans-leur-cravate, car le droit n'a pas toujours réponse à tout, écoutez la décence commune. L'élection de Braun-Pivet est illégitime. Souhaitons que les recours indispensables soient intentés auprès du Conseil constitutionnel (c'est probable). Et qu'ils aboutissent (je rêve, je sais). En attendant, épelons ensemble, pour qu'ils le comprennent bien, ce mot dont je n'aurais jamais imaginé faire un titre : anticonstitutionnellement.
Et préparons-nous à boire un immense bol d'amertume. Il est clair pour moi qu'il n'y aura pas de gouvernement du Front populaire. Non seulement Macron fera tout pour s'y opposer, mais la gauche lui offrira tous les moyens de le faire. Nous aurons eu cinq minutes d'espoir et de joie le 7 juillet, entre 20 heures et 20 heures 05. Jusqu'à ce que Mélenchon crée l'éloquente fiction du "tout le programme, rien que le programme". Vous me demandez comment je peux être si catégorique ? Je ne suis pas constitutionnaliste, mais je sais lire. Et le 15 juillet, j'ai lu ça.
Pour avoir comparé le hollandisme à des insectes nuisibles à éradiquer, dans la droite ligne stylistique de Radio Mille Collines au Rwanda, Sophia Chikirou n'a pas été sanctionnée ni désavouée. Comment le serait-elle ? Traitez-moi de bourgeois aux oreilles chastes, de tout ce que vous voudrez, mais expliquez-moi comment les Insoumis imaginent vraiment siéger ensemble un jour au conseil des ministres avec des punaises de lit. Et expliquez-moi comment ils sont censés l'expliquer à Barbier et aux autres, qui se sont précipités sur l'aubaine. Il est vrai que les socialistes ne le veulent sans doute pas davantage (voir l'épisode Huguette Bello).
Que veulent les Insoumis ? Plus précisément, que veut Mélenchon, qui distribue chaque jour dans les boucles WhatsApp les éléments de langage qu'ils répètent tous de plateau en plateau ? Quelle est sa stratégie ? Joker. Je n'en ai aucune idée. Depuis la purge, j'ai renoncé à le comprendre.
En attendant de comprendre, que peut-il se passer d'autre que la constitution d'un bloc du centre Attal-Wauquiez, allant chercher au cas par cas des socialistes récupérables ou des RN en mission, et votant des lois molles et néfastes sous les cris des Insoumis, renforcés par l'illégitimité de Braun-Pivet. L'extrême-centre macroniste a confisqué la démocratie. Il l'a congelée en attendant. En attendant quoi ? Il ne le sait pas lui-même. Il compte sur les JO, puis sur les paralympiques. On verra bien ensuite.
du côté de l 'arcom
Pendant ce temps, côté médias, ça bouge. Vous vous souvenez de l'arrêt du Conseil d'Etat, sur saisine de Reporters Sans Frontières, et sur la foi d'un rapport de l'universitaire François Jost, sommant l'ARCOM de tenir la bride plus courte à CNews, côté pluralisme des invités et des chroniqueurs ? L'ARCOM a bien reçu le message. Et elle a adopté une "délibération relative au respect du pluralisme des courants de pensée et d'opinion dans les médias audiovisuels", s'appliquant, non seulement à CNews, mais "à tous les médias audiovisuels, publics comme privés".
En résumé, loin des craintes surjouées à l'époque par les intéressés de "fichage politique" desdits invités, elle annonce (c'était la seule voie possible, comme disaient les meilleurs auteurs) qu'elle surveillera notamment "l'expression d'une pluralité de points de vue dans les sujets abordés à l'antenne". Par exemple ? Par exemple, lors d'une séance parlementaire où les Insoumis refuseront de serrer la main aux lepénistes, il ne suffira plus de réunir un journaliste de Libé et un du Point qui disent sensiblement la même chose, il faudra trouver un chroniqueur pour défendre le point de vue selon lequel on ne serre pas la main aux fascistes. Tout simple, non ? Si LCI en cherche, j'ai des adresses.
"Immense chantier", a tweeté l'excellent Alexis Lévrier, historien des médias. Immense chantier ou arnaque supplémentaire d'une régulation en carton ? Réponse à la fin du mois, quand nous saurons si la même ARCOM a le courage de ne pas renouveler les concessions des chaînes du pirate Bolloré, qui ont amplement fait la preuve qu'elles étaient irrécupérables.