Législatives 2024 : comment le Kremlin aurait tenté d’influencer le scrutin pour déstabiliser la France

 

03/07/2024

 

Les Russes agiraient à travers les réseaux sociaux comme Twitter, mais aussi via des actions de déstabilisation. peterzayda / stock.adobe.com

Un rapport réalisé par le CNRS, et publié le 30 juin, détaille les stratégies menées par la Russie pour «affaiblir le front républicain» et «déstructurer la société française» en période d’élections.

L’ingérence russe plane une nouvelle fois sur les élections françaises. Un tout récent rapport réalisé par David Chavalarias, directeur de recherche CNRS au Centre d’analyse et de Mathématique Sociales, a analysé les stratégies d’influence menées par la Russie en France dans le contexte des élections législatives de 2024. L’étude, publiée le 30 juin dernier, s’appuie sur un projet plus large de suivi des méthodes numériques et des manipulations d’opinions du Kremlin dans l’Hexagone depuis 2016, intitulé Politoscope. Ce nouveau rapport établit que la Russie cherche à obtenir un «processus d’affaiblissement puis d’inversion du front républicain» dans le cadre des élections.

Stratégies numériques

L’ingérence du Kremlin passe principalement par des campagnes de désinformation menées sur Twitter et Facebook. Une fausse annonce de recrutement de l’armée française pour l’Ukraine a notamment été diffusée quelques jours avant les élections européennes afin de conforter les internautes dans l’idée qu’Emmanuel Macron s’apprêtait à entrer en guerre contre la Russie.

Des publicités politiques ciblées payées par des acteurs liés au Kremlin ont surfé «sur les faits d’actualités susceptibles de semer la discorde, voire la révolte, comme les manifestations des agriculteurs qui ont secoué l’Europe», énumère aussi le rapport. Le rapport en présente plusieurs captures d’écrans de ces publicités. L’une d’entre elles, publiée par un compte au nom douteux, porte sur l’augmentation du prix du gaz importé de Russie et rejette la faute sur l’Union européenne : «Après les interdictions imposées à la Russie, l’énergie est devenue très chère, ce qui a entraîné une hausse du prix de tous les autres produits», peut-on lire. Ces actions ont touché des dizaines de millions d’utilisateurs entre août 2023 et mars 2024 et moins de 20% d’entre elles ont été modérées par Facebook, «alors que la publicité politique est interdite en période électorale», note l’étude.

Une réplique du site Ensemble - groupe politique de la majorité présidentielle, avec une URL subtilement modifiée, a par ailleurs été créée. Elle proposait l'achat de procurations pour 100 euros afin de faire croire à un achat illégal de voix et permettait, au passage, «de collecter des données sur les sympathisants les plus naïfs du parti», avant de les réorienter vers le vrai site.

 

Force obscure sur les réseaux

À partir de l’analyse de 700 millions de messages émis par près de 17 millions d'utilisateurs uniques de 2016 à 2023, le CNRS a pu constituer une «carte sociale» du paysage politique français sur les réseaux sociaux. Conclusion : de nouvelles communautés numériques ont émergé, dont l’une est qualifiée «d’anti-système» par le rapport. Elle est apparue pendant la pandémie de Covid-19 et se compose d’utilisateurs antisystème déjà présents sur les plateformes, ainsi que de trolls - faux comptes - pilotés par le Kremlin. Ces trolls se trouvent proche idéologiquement de «l’extrême droite et de la France insoumise». En fonction de l’actualité, cette force numérique se déplace sur l’échiquier politique. L’opposition aux mesures gouvernementales aurait soudé ce bloc dont les membres se «follow» et se «retweet», créant des milliers d’interactions.

Le rapport le démontre à partir de l’analyse du compte @FRN, suivi par près de 254.000 personnes, qui se situerait dans cette communauté anti-système. «Son historique est typique d’un compte géré par le Kremlin, ou du moins sous l’emprise de sa propagande. Toutes les théories du complot et les bêtes noires du Kremlin y sont mises en scène, dans des vidéos soigneusement éditées.»

À l’approche des législatives, le compte a par exemple diffusé du contenu «anxiogène» composé d’images et de vidéos de «massacres perpétrés par le gouvernement de Netanyahou à Gaza et de la crise humanitaire qui en découle». Cela amplifie «la perception des horreurs de Gaza auprès de la communauté LFI» dans le but que le parti de Mélenchon intègre ce sujet dans sa campagne des législatives, attisant encore plus les tensions avec le RN. In fine, le rapport conclut que «cela favorise la polarisation politique entre les extrêmes».

 

Opérations de tags

Cette stratégie de trolls a d’ailleurs été accompagnée d’actions concrètes sur le terrain. Avant les élections européennes, les services de sécurité russes (FSB) étaient déjà accusés d'avoir piloté une opération de tags d'étoiles de David sur des immeubles en région parisienne. Ainsi que des tags de mains rouges retrouvés sur le Mur des Justes devant le mémorial de la Shoah à Paris en mai dernier. Le tout dans un contexte d'exportation du conflit israélo-palestinien en France.

Le Kremlin ne se cache pas de ces ingérences. Dmitri Medvedev, l’ancien président de la Fédération de Russie, avait appelé en février dernier à «soutenir de toutes les manières possibles» les partis «antisystème» occidentaux afin qu’ils obtiennent «des résultats corrects aux élections».

Moscou avait déjà mis son nez dans l’élection présidentielle française de 2017 à travers «des piratages informatiques des serveurs de l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron», rappelle le rapport. Mais aussi via les réseaux sociaux en introduisant de faux messages et en créant une «guerre des memes» (image ou texte humoristique décliné en masse sur les réseaux sociaux) pour envenimer les débats et renforcer les candiats populistes.

 

Clara Hidalgo

 

 

Collé à partir de <https://www.lefigaro.fr/elections/legislatives/legislatives-2024-comment-le-kremlin-aurait-tente-d-influencer-le-scrutin-pour-destabiliser-la-france-20240703>