Claire Fourier. L’Abbé Pierre: Mais où donc est l’outrage?
L’abbé Pierre. – J’y reviens dans un dernier mot, et ensuite j’essaie de penser à autre chose. Car cette nuit une scène m’a habitée, et douloureusement.
C’est que surprise par l’information relayée dans les médias, j’ai regardé ce qu’il en fut de l’abbé qui prétendument violait encore à 93 ans.
Il était à l’hôpital. La victime raconte comment elle a été agressée, alors qu’elle se chargeait d’accompagner le religieux à sa toilette. “Il s’est levé, il a marché. Et il m’a agrippé les deux seins. Je l’ai giflé”, raconte la quadragénaire. “Il m’a dit qu’il était vieux, qu’il était fatigué, qu’il avait besoin de se tenir.” (Viol ? Vous avez dit viol ? Bizarre, comme c’est bizarre ! aurait dit Jouvet.)
Dix-huit ans après les faits, l’infirmière (la “victime”) reconnaît que les agissements de l’homme d’Église ont mis à mal sa foi. (S’il n’y avait que ce genre de chose pour mettre à mal ma foi ! Mais passons.)
Voyez-vous, je trouve beaucoup plus ignoble et méprisable la gifle donnée à l’hôpital par une infirmière à un vieillard de 93 ans qui lui a touché le sein, a eu l’air de s’y accrocher, que le geste d’un moribond qui cherchait un peu de tiédeur charnelle, un rien de compassion – lui qui n’avait vécu que de la compassion pour la souffrance des miséreux.
Si j’avais été cette infirmière, j’aurais posé la main du vieillard malade sur mon sein, j’aurais offert ce dernier petit bonheur, ce réconfort féminin à un homme qui avait passé sa vie à distribuer de la chaleur humaine et en réclamait un peu au moment de mourir.
Les femmes, infirmières ou pas, ont bien changé depuis le temps où dans les hôpitaux elles se penchaient affectueusement ou tendrement sur les estropiés et les moribonds revenus des tranchées.
Pauvre vieillard seul, si seul dans sa chambre d’hôpital au soir d’une vie de sacrifices, giflé par une infirmière qui s’est sentie outragée.
Mais où donc est l’outrage ?
“Tout est solitude”…
© Claire Fourier
Révélée avec “Métro Ciel”, récit lumineux d’une rencontre souterraine, Claire Fourier a publié des récits, historiques tels “Les Silences de la guerre”, un écho au livre de Vercors, et “L’amour aussi s’arme d’acier”, “RC4 en Indochine”, des récits intimes comme “C’est de fatigue que se ferment les yeux des femmes”, à propos du deuil de la mère, et “Dieu m’étonnera toujours”, relation d’un séjour à la Chartreuse, des haïkus, romans et des recueils de pensées.
Collé à partir de <https://www.tribunejuive.info/2024/07/23/claire-fourier-labbe-pierre-mais-ou-donc-est-loutrage/>