À Saint-Denis, une mobilisation citoyenne s’organise face aux violences policières

 

Le collectif Stop violences policières à Saint-Denis mène des maraudes pour sensibiliser les habitants à leurs droits face à la police. Il dénonce la « militarisation » de la ville, encore accrue pendant les Jeux olympiques. 

 

3 août 2024

 

Les derniers spectateurs à avoir assisté aux matchs inauguraux des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de Paris, le mercredi 24 juillet, quittent le Stade de France et traversent le quartier de La Plaine à Saint-Denis à pied, maillot de supporter sur le dos. Il est près de 23 heures. Au même moment, une équipe d’une dizaine de militant·es du collectif Stop violences policières de Saint-Denis, tracts à la main, mène une maraude dans le quartier.

Dans le square Roser, proche de la gare du RER B, une femme est assise sur un banc, son bébé sur les genoux. Deux fillettes jouent sur des rollers et une trottinette devant elle. Les militant·es lui tendent un tract et lui expliquent l’objet de la maraude. Elle se montre ravie et engage la discussion, qui porte rapidement sur une interpellation qu’elle a subie il y a trois ans. « C’était sur l’avenue du Président-Wilson. Je me suis fait arrêter au volant alors que j’avais consommé de l’alcool, mais l’interpellation a dégénéré », se remémore Sonia.

Elle décrit une scène de violence qui se solde par une décharge de taser dans la cuisse. S’ensuit une longue garde à vue, dans des conditions inhumaines. « J’étais menottée au commissariat, j’ai été humiliée, insultée et frappée », souffle la jeune maman, qui n’a pas souhaité porter plainte.

 

© Photo Alexandra Bonnefoy / Rea

 

Lors de la maraude, presque chaque passant·e y va, comme Sonia, de son anecdote. Si ce n’est pas une interpellation violente, ce sont des contrôles d’identité musclés, parfois à répétition, voire des violences, des passages à tabac, que les Dionysien·nes ont subis ou auxquels ils et elles ont assisté. Jeunes et moins jeunes, hommes et femmes, même les grands-mères, semblent partager la même analyse des agissements de la police dans le quartier et le climat de peur qui en découle. Un sentiment de crainte de voir un proche, un fils se faire prendre à partie, finir au poste ou pire. 

Il faut dire que le quartier garde le traumatisme de plusieurs épisodes d’une grande violence. En avril 2021, Yanis, un jeune homme de 20 ans, était plongé dans le coma après un accident de scooter survenu alors qu’il était poursuivi par la police. Début juin, le jeune homme perdait la vie des suites de l’accident. Mediapart racontait comment, le lendemain, lors de sa veillée funèbre, des habitant·es du quartier, dont des enfants, avaient été ciblé·es par des tirs de grenades lacrymogènes et de LBD. Une femme enceinte avait même dû être hospitalisée.

 

La face émergée de l’iceberg

En juillet 2023, durant les révoltes urbaines survenues à la suite de la mort de Nahel Merzouk à Nanterre, tué d’une balle tirée à bout portant par un policier, des affrontements avaient essaimé dans le quartier de La Plaine. Mehdi, 21 ans, proche de Yanis, mort deux ans plus tôt, y avait perdu un œil, après un tir policier de lanceur de balles de défense (LBD) au visage.

Son père, Rachid, expliquait à Mediapart : « Ce soir-là, mon fils est parti avec un de ses amis à La Plaine Saint-Denis, près d’un parc, rue Jamin. Pas loin, il y avait des affrontements entre les jeunes et les policiers. Tout le monde courait et Mehdi a voulu rentrer, mais il s’est retrouvé seul face aux forces de l’ordre. Alors qu’il ne faisait rien, un des policiers l’a mis en joue et lui a tiré dessus au LBD. Ils n’ont pourtant pas le droit de viser le visage. » 

Un an plus tard, Mehdi et sa famille sont toujours dans l’attente des conclusions de l’enquête de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN). Mehdi a récemment pu reprendre ses activités dans une association de La Plaine. « Avant, mon fils se faisait contrôler à tout-va par la police. Aujourd’hui, ils le laissent plutôt tranquille. On dirait qu’il a fallu ça pour que les contrôles à répétition s’arrêtent », déplore Rachid.

Et ces événements sont surtout la face émergée de l’iceberg. Les habitant·es décrivent un quotidien émaillé de contrôles à répétition, d’humiliations et de déshumanisation. 

« Les contrôles policiers, pour moi, c’est trois ou quatre fois par jour », affirme un jeune homme en train de discuter avec un ami sur un parking du terre-plein central de l’avenue du Président-Wilson. Un autre homme, attablé à la terrasse d’un bar à chicha de l’autre côté de la route, explique s’être fait rouer de coups par la police sur ce même parking quelques semaines plus tôt. Un jeune qui passe à trottinette électrique un peu plus haut sur l’avenue : « Ah, moi, ils me lâchent pas ; tous les trois jours, ils me mettent en garde av’ [garde à vue – ndlr]. »

 

Un sentiment d’insécurité des habitants vis-à-vis de la police

Bally Bagoyoko connaît trop bien ce climat délétère dans la ville qui l’a vue grandir. Candidat aux municipales en 2020, le chef de file de La France insoumise (LFI) à Saint-Denis s’est joint à l’équipe de maraude ce mercredi soir « en tant que simple citoyen ». « Je rencontre tous les jours des gens qui sont bafoués dans leurs droits, constate le Dionysien. Dans les quartiers est et nord, les jeunes se regroupent dans l’espace public et sont constamment embêtés par la police. »

Lili*, qui milite dans le collectif Vérité et Justice pour Yanis, créé à la suite de la mort du jeune homme, et dans le collectif Stop violences policières à Saint-Denis, abonde : « On constate une forme de résignation. J’ai l’impression que les jeunes ne sont même pas dans un rapport de défiance, de provocation ou de virilisme. La plupart du temps, ils attendent juste que ça passe. »

Tous deux décrivent une présence policière toujours plus forte dans la ville de Seine-Saint-Denis. « Quand j’ai emménagé à La Plaine il y a six ans, j’ai été marquée par les sirènes tous les jours, la présence sonore et visuelle de la police », explique Lili, qui a grandi à Stains. Un sentiment partagé par Romi*, militant du collectif qui parle carrément de « militarisation de la ville ». « Il y a tellement d’agents, que ce soit de la municipale ou de la nationale, que dès qu’il se passe quelque chose, ils sont vite très nombreux sur les lieux et la tension peut monter très vite », analyse le jeune homme.

 

La politique ultra-sécuritaire de la mairie socialiste

Depuis son accession à la mairie lors des élections municipales de 2020, le socialiste Mathieu Hanotin a drastiquement renforcé sa police municipale. En l’armant d’abord, puis en recrutant massivement, allant jusqu’à tripler ses effectifs en quelques années. Interrogée, la mairie de Saint-Denis indique à Mediapart que les effectifs actuels sont de 85 policiers, 15 gardes espace public (GEP) et 20 opérateurs CSU (vidéosurveillance).

Elle affirme également qu’aucun renfort spécifique n’est prévu pour les JOP côté police municipale. On apprend cependant dans le rapport d’orientation budgétaire de la ville que la municipalité prévoit d’atteindre l’objectif de 160 agent·es après l’absorption de la commune de Pierrefitte-sur-Seine par Saint-Denis, prévue pour le 1er janvier 2025. Depuis novembre 2023, la police municipale travaille vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Gérald Darmanin, à l’occasion de son point presse sur la sécurité le 2 août, a félicité le maire de Saint-Denis pour l’effort sécuritaire impulsé dans sa ville et promis que celui-ci perdurera après les Jeux, avec un héritage en police et en vidéosurveillance. « Il y a 30 policiers en plus pour le commissariat de Saint-Denis depuis que je suis au ministère de l’intérieur, qui vont rester après les JO », s’enorgueillit-il, avant de rappeler que l’État a débloqué un million d’euros pour la ville de Seine-Saint-Denis « pour la décision et pour la lutte contre la délinquance ».

 

Une politique du tout-sécuritaire qui s’accompagne d’une explosion du nombre de caméras de vidéosurveillance dans l’espace public de la ville. Dans un rapport du conseil municipal portant sur l’adoption du budget primitif de l’année 2024, la mairie indique : « Au total, à la fin 2024, la commune disposera de 488 caméras, pour un total d’investissement de 6,7 millions d’euros. »

C’est dans ce contexte que s’est créé le collectif Stop violences policières en 2022. Il est né d’une convergence entre le collectif Vérité et Justice pour Yanis et d’autres groupes militants et collectifs citoyens de la ville. « De cette présence policière accrue et de sa répression au quotidien découle un engagement citoyen et militant, retrace Lili*. Les jeunes veulent s’engager, lutter indirectement contre cette forme de harcèlement du quotidien. »

Bally Bagayoko, lui, décrit une machine policière et judiciaire qui écrase les jeunes de quartiers populaires, trop souvent démunis face aux institutions et pas suffisamment renseignés sur leurs droits. D’où ces maraudes, pensées pour sensibiliser les habitant·es à leurs droits, au comportement à adopter en cas de contrôle, de garde à vue ou de violences policières. « Il faut par exemple savoir que l’on peut – et que l’on a tout intérêt à – refuser une comparution immédiate. Mais même lorsqu’on le sait, il faut encore avoir le cran de le dire face à des policiers qui souvent vous font croire le contraire. »

Pendant ces événements, du type JO, n’importe qui est suspect, pourvu qu’on soit un groupe et dans un quartier populaire.

Lili*, militante du collectif Stop violences policières

L’organisation des Jeux olympiques et paralympiques dans la ville a servi de catalyseur à ces politiques sécuritaires et permet de les justifier. La présence policière, drastiquement accrue pendant l’événement, laisse craindre aux Dionysien·nes une recrudescence des mauvais traitements. « Pour moi, présence policière, ça veut dire violence policière, c’est dans leur logique, assène Sarah, 35 ans, qui habite à La Plaine et participe à la maraude. Il y a beaucoup de populations racisées concentrées au même endroit. C’est la cible préférée des policiers. »

Et la surprésence policière va aussi avec son lot de nuisances. « Ça bombarde dans la ville avec les gyrophares, les sirènes, des vitesses excessives. Puis il y a ces points de contrôle partout. Je vais au parc, il faut que je fasse un détour. C’est opération palabres, il faut tout le temps discuter et se justifier », décrit Bally Bagayoko, un brin excédé. 

Les inquiétudes du collectif quant à l’événement résident aussi et surtout dans la présence massive de jeunes policiers venus de diverses régions de France, peu formés et pas habitués à travailler dans des quartiers populaires. Les lois d’exception mises en place pour les JOP laissent aussi craindre une plus grande liberté d’action des forces de l’ordre. 

 

À Saint-Denis, aux abords des lieux de compétition, une réquisition du parquet de Bobigny donne un blanc-seing pour effectuer des contrôles d’identité au bon vouloir des policiers. Habituellement, les forces de l’ordre doivent suspecter la commission d’une infraction pour y procéder.

Une mesure qu’a pu expérimenter l’équipe de maraude. Alors que nous rejoignions le collectif, pour continuer notre reportage, le dimanche 28 juillet aux alentours de 18 heures, le petit groupe de sept personnes, qui attendait les derniers militants, s’est retrouvé encerclé par quinze agents de la police nationale. S’est ensuivi un contrôle d’identité qui a duré plus d’une demi-heure. Les forces de l’ordre finiront par expliquer qu’elles avaient pris le groupe pour des militants écologistes qui préparaient une action contre les JOP. 

Finalement, le petit groupe pourra repartir libre, avec la promesse d’être surveillé tout le reste de la journée. La maraude est annulée. Les militant·es vont à la place s’installer sur le bord du canal pour débriefer la séquence. Pendant une heure, le groupe sera épié par la police et pris en photo par des agents avec leurs téléphones portables à plusieurs reprises. 

« Pendant ces événements, de type JO, n’importe qui est suspect, pourvu qu’on soit un groupe et dans un quartier populaire, analyse Lili* (qui n’était pas présente à la maraude), à froid. La police dépasse le racisme du corps pour passer à un racisme de classe et voit tout groupe militant comme un adversaire », ajoute-t-elle, faisant référence aux récentes interpellations de quarante-cinq militant·es écologistes d’Extinction Rebellion en marge des JOP. Le parquet de Paris indique avoir levé les gardes à vue et décidé de quarante-quatre classements sans suite. Une seule personne sera convoquée devant un délégué du procureur pour avoir refusé de communiquer ses codes de téléphone. 

Le collectif Stop violences policières exprime par ailleurs sa crainte de voir perdurer les mesures d’exception mises en place pendant la période olympique. « L’idée est aussi de s’auto-organiser pour essaimer dans toutes les villes. La répression généralisée a tendance à s’ancrer plutôt qu’à disparaître, avec la multiplication des lois qui vont dans ce sens », exprime Lili*, consciente que le plus difficile reste peut-être à venir. 

 

Névil Gagnepain

 

Collé à partir de <https://www.mediapart.fr/journal/france/030824/saint-denis-une-mobilisation-citoyenne-s-organise-face-aux-violences-policieres?utm_source=quotidienne-20240803-165905&utm_medium=email&utm_campaign=QUOTIDIENNE&utm_content=&utm_term=&xtor=EREC-83-[QUOTIDIENNE]-quotidienne-20240803-165905&M_BT=105146203464>