Féminicides et armes de chasse : Sandrine Rousseau dénonce une « procédure-bâillon »

Le procès opposant Sandrine Rousseau à la Fédération nationale des chasseurs, qui l’accuse de propos « dénigrants », s’est tenu le 4 septembre. En 2022, la députée avait déclaré que « 1 féminicide sur 4 est lié à des armes de chasse ».

 

Reporterre,  6 septembre 2024

 

À la sortie de la 17e chambre du tribunal judiciaire de Paris, Sandrine Rousseau croise Me Nicolas Bénoit, avocat de la Fédération nationale des chasseurs (FNC). Après lui avoir dit au revoir, la députée lui lance ces mots : « Vous ne me ferez pas taire. »

Le 4 septembre se tenait l’audience opposant l’écologiste à la puissante FNC, qui accuse l’élue de « dénigrement » et d’« atteinte aux intérêts moraux et aux droits fondamentaux des chasseurs ». En cause : des propos tenus par Sandrine Rousseau le 22 février 2022 lors d’une interview sur France 2, où la parlementaire, se basant sur une enquête de Reporterre, avait notamment déclaré que « 1 féminicide sur 4 est lié à des armes de chasse ». Au titre du « préjudice moral », la FNC lui réclame 9 887,94 euros de dommages et intérêts (soit un centime d’euro par détenteur de permis de chasse validé en 2022). La décision du tribunal — qui, en mars 2023, avait rejeté la demande de nullité et d’irrecevabilité de l’assignation formulée par l’écologiste — a été mise en délibéré au 30 octobre.

« Après cet entretien sur France 2, j’aurais préféré que la FNC prenne contact avec moi pour s’inquiéter des témoignages de femmes que j’aurais pu éventuellement recevoir », a dit à la barre Sandrine Rousseau, assurant en avoir « reçu beaucoup ». La militante féministe, rappelant qu’entre « 120 à 140 féminicides sont commis chaque année selon le ministère de l’Intérieur » — des chiffres sous-estimés selon certaines associations féministes —, a en outre souligné le contexte dans lequel s’était tenue cette interview.

À l’époque, deux jours auparavant, une randonneuse avait été tuée dans le Cantal par le tir accidentel d’une chasseuse. Après avoir estimé « qu’il [fallait] arrêter la chasse complètement », l’écologiste avait alors affirmé sur France 2 : « Ça n’est pas un loisir que d’aller tuer des animaux le week-end avec des fusils. Et, par ailleurs [...], le reste de la semaine, on peut aussi le braquer contre sa femme. On a vu que 1 féminicide sur 4 est lié à des armes de chasse. » Des statistiques effectivement issues d’un article de Reporterre (que la FNC n’a pas poursuivi judiciairement) : dans cette enquête datant de 2021, le journaliste Moran Kerinec, s’appuyant notamment sur le décompte du collectif Féminicides par compagnons ou ex, mais aussi sur une base de données établie par ses soins, avait montré qu’en 2020 et 2021, 1 féminicide sur 4 en France avait été perpétré à l’aide d’une arme de chasse.

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Me Nicolas Bénoit, qui a aimablement qualifié Reporterre de « torchon », a de son côté assuré qu’« en disant que 1 féminicide sur 4 a été commis par une arme de chasse, tout le monde a bien compris que Sandrine Rousseau disait que 1 féminicide sur 4 est commis par un chasseur ». Le conseil de la FNC a ensuite cité une étude de la délégation interministérielle aux victimes, qui établit que 35 % des féminicides ont pour mode opératoire les armes à feu. Celles-ci n’étant pas toutes nécessairement des armes de chasse, l’avocat a accusé Sandrine Rousseau d’avoir sciemment « relayé une information parfaitement erronée » en citant l’enquête de Reporterre. L’article en question parle pourtant bien de 25 % (et non pas 35 %, donc) de féminicides commis via ce type d’armes.

« Procédure-bâillon »

Reste que, pour Me Nicolas Bénoit, de tels propos ont eu pour conséquence de « stigmatiser les chasseurs », mais aussi d’en faire des « assassins en puissance ». Preuve supplémentaire selon lui : la suite de cette fameuse interview donnée sur France 2.

Alors que la journaliste disait à Sandrine Rousseau que « tous les chasseurs ne tuent pas leur femme », celle-ci avait répondu : « Non, heureusement [...], mais ça fait partie de cette violence intrinsèque de cette catégorie de la population qui pense que, dans ses loisirs, on peut aller toutes les semaines tuer des animaux dans la forêt au détriment des promeneurs. » Durant l’audience, l’élue a pour sa part cité un rapport de l’Ifop qui, en 2022, recensait « un taux élevé d’hommes “hypersexistes” dans les rangs des chasseurs (20 %) » ou encore une étude instituant un lien entre violences conjugales en milieu rural et présence d’armes de chasse dans les foyers.

Me Élodie Tuaillon-Hibon, conseil de la députée, a quant à elle dénoncé la « mystification de la FNC ». « On veut faire croire que Sandrine Rousseau aurait dit que 1 féminicide sur 4 est commis par des chasseurs. Ce n’est pas ce qu’elle a dit […] On essaie aussi de faire croire qu’elle aurait traité les chasseurs d’assassins en puissance, idem, pas une seule fois elle n’a dit ça », a rétorqué l’avocate, qui a insisté sur le fait qu’une arme de chasse n’est pas forcément détenue de façon légale. « Il y a par exemple ce que l’on appelle les “armes grenier”, qui peuvent avoir été héritées d’un parent. Donc quand on parle des armes de chasse, on ne parle pas des chasseurs. » Me Tuaillon-Hibon a enfin indiqué que c’était bien le « système de la chasse » et non pas les « individus » qui étaient mis en cause par sa cliente.

Au fond, selon elle, le FNC n’aurait qu’un seul but avec ce « raid juridique et politique » : « Bâillonner les gens qui s’opposent à elle dans le débat public. » Sandrine Rousseau, employant l’expression de « procédure-bâillon », n’a pas dit le contraire : « Il s’agit là d’un débat politique, et j’aurais préféré que les chasseurs aient le courage de m’affronter sur ce terrain-là. »

 

Collé à partir de <https://reporterre.net/Feminicides-et-armes-de-chasse-Sandrine-Rousseau-denonce-une-procedure-baillon>