Symbole des années 80 et de l’argent roi, écrivain décrié, Paul-Loup Sulitzer est mort à 78 ans

L’ancien homme d’affaires et «auteur» de best-sellers français, publiés à plus de 40 millions d’exemplaires à travers le monde, est mort ce jeudi 6 février 2025 des suites d’un AVC.

 

 

Paul-Loup Sulitzer, à Paris, en 2008. (Bruno Charoy/Libération)

 

par Michel Becquembois

 6 février 2025

 

Un homme dont le patronyme a été transformé, au côté de celui d’une mannequin mondialement connue, en verbe d’incarnation par un chanteur populaire pour symboliser les excès d’une société du profit et de l’apparence, raconte forcément quelque chose des années où il était au sommet. «On nous Claudia Schiffer, on nous Paul-Loup Sulitzer», chante Alain Souchon dans Foule sentimentale, permettant au nom de cet écrivain (si tant est qu’il l’ait vraiment été) et homme d’affaires (si tant est qu’il en ait vraiment fait) de survivre aux années 1980 dont il aura su tirer le meilleur profit avant la chute. Figure, à l’instar d’un Bernard Tapie, d’une époque cynique où l’argent se montre, où tout s’achète, où la richesse se veut ostensible, Paul-Loup Sulitzer est mort jeudi 6 février à 78 ans.

En 1968, quand on entend sa voix pour la première fois sur les ondes de France Inter, son intervieweuse l’introduit ainsi, tout en admiration : «Vous êtes le plus jeune PDG français. Vous avez 22 ans…» C’est dans le porte-clés que ce Rastignac de la finance avait construit ses premiers succès mais les gadgets (fabriqués en Asie et glissés dans les blisters de Pif gadget), cela va bien un temps. Il passe à l’immobilier, à la finance. Il se fait businessman. Et un peu mytho aussi quand il se pousse du col en prétendant conseiller le Premier ministre de l’époque, Raymond Barre.

«Money», «Cash !», «Fortune»…

Mais son rêve, c’est d’écrire. Sa réussite, il la veut aussi artistique, éclatante. Et la martingale qu’il va trouver sera l’invention d’un nouveau genre littéraire : le western financier. A partir de 1980, il publie un livre par an qu’il écoule à plus de 40 millions d’exemplaires dans le monde. Money, Cash !, Fortune… Les titres résument à eux seuls l’état d’esprit clinquant de ces romans conçus comme des objets de consommation. Ce sont les éditions Denoël qui sont à la manœuvre de ces pavés de 500 pages au cahier des charges immuable : de l’aventure à la James Bond, des gros sous pour faire rêver et de la passion niveau Harlequin.

Sulitzer est au sommet, il se met lui-même en scène dans des publicités où il brasse des dollars sans que l’on sache bien qui, de lui, de ses romans ou des produits dérivés dont il inonde le marché à une époque où ce n’est pas si courant, est à acheter. «J’y peux rien, moi, si quand je fais la queue au cinéma, les gens s’arrêtent pour me demander des conseils boursiers.»

Le fric grise, et Sulitzer en est le grand manitou, semblant fournir le mode d’emploi de la réussite en Donald Trump avant l’heure. C’est que le natif de Boulogne-Billancourt a une revanche à prendre sur la vie. Son père, un immigré roumain, résistant durant la Seconde Guerre mondiale et décoré de la Croix de guerre, est mort en 1956, quand il avait 10 ans. Il avait fondé avec son frère l’empire des remorques Titan qui sera dépecé par ses associés. A 16 ans, «PLS» quitte donc le lycée, se pique d’import-export et cultive son sens des affaires. La réussite des porte-clés fera le reste, on ne l’arrêtera plus.

Seulement voilà, même dans les romans fatigants de Sulitzer, il y a des rebondissements. Et celui qui va bouleverser sa carrière, sinon la détruire, va se dérouler, signe des temps, en direct à la télévision. Le 15 mai 1987, alors qu’il reçoit entre autres dans Apostrophes le romancier Loup Durand pour son nouveau roman, Daddy, Bernard Pivot rend l’antenne en montrant les livres de tous ses invités, y ajoutant la Femme pressée, de Sulitzer, paru peu avant, dont il explique que Loup Durand en est le véritable auteur. L’intéressé dément, Pivot maintient. Confusion sur le plateau, scandale national. «Sulitzer : Pivot crie au Loup», s’amusera Libération.

Un mois plus tard, c’est le magazine Lire qui enfonce le clou, publiant, sous la signature de Pierre Assouline, un dossier assassin, titré «La vérité sur le système Sulitzer» : «Si la question se pose de savoir si Sulitzer est un écrivain, ce n’est pas simplement parce que ce financier ayant fait de la richesse une philosophie applique à la promotion de ses ouvrages des techniques de marketing très modernes. En réalité, le phénomène Sulitzer repose dès le départ, c’est-à-dire la rédaction du manuscrit, sur un système où plusieurs personnes sont impliquées. Une véritable entreprise.»

Une longue chute

Sulitzer est catastrophé. Sa construction médiatique du self-made-man qui brille dans tout ce qu’il entreprend s’effondre, remplacée par une image tenace d’imposture. Il tâchera de faire face, ripostant dans Paris Match en plaidant de nouvelles méthodes d’écriture «à l’américaine», s’intronisant «metteur en livre» plutôt qu’«auteur» et publiant même les noms de ses… 38 collaborateurs. Mais le mal est fait, la suite n’est qu’une longue chute où les chiffres de tirage ne cessent de perdre des zéros.

Côté affaires, ça patine aussi. Ses origines roumaines l’incitent à acheter l’exclusivité des droits des images du procès des époux Ceausescu, à la chute du régime communiste en 1989. Pourtant les images sont copiées et diffusées sur TF1. Quand le scandale fait surface, il ne fait qu’écorner un peu plus l’image de l’ancien financier star. Difficile de justifier qu’il y a un business à faire avec les dernières images d’un dictateur…

Ses livres parlent désormais de son régime (le Tour de taille en 80 jours…), ses apparitions dans la presse se font dans les pages people quand il s’agit de chroniquer de ruineux divorces. L’hallali viendra quand il sera soupçonné d’avoir été rémunéré pour faciliter la conclusion de contrats de ventes d’armes à l’Angola. Jugé en 2008 dans l’affaire de l’Angolagate aux côtés de Charles Pasqua, Jean-Christophe Mitterrand et Arcadi Gaydamak, entre autres, il sera condamné à quinze mois de prison avec sursis et 100 000 euros d’amende. Le voilà ruiné. Il sera même exclu en 2012 de l’ordre du Mérite.

C’est à l’île Maurice, où il vivait depuis plusieurs mois, qu’il est mort jeudi, des suites d’un accident vasculaire cérébral. En 2002, dans Libération, commentant la rupture avec sa femme, il disait : «Elle a pris les œufs, pas la poule, je ne suis plus un homme riche, mais je le redeviendrai.» La revanche, toujours.

 

Collé à partir de <https://www.liberation.fr/culture/livres/lecrivain-paul-loup-sulitzer-est-mort-a-lage-de-78-ans-20250206_QRE62ZZ57ZECHOAQ7U7WL77PRU/>