Wikipédia, leur mauvaise conscience

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C'est un véritable annuaire de la "gauche de droite" ou, si l'on préfère, du charlisme (voir un ouvrage récent de votre blogueur favori). Ou, si l'on préfère encore, du Printemps républicain, volet médias. L'hebdomadaire Le Point vient de mettre en ligne un "appel" intitulé : "Halte aux campagnes de désinformation et de dénigrement menées sur Wikipedia", et sous-titré "pour une encyclopédie vraiment participative, responsable, transparente, neutre et équitable". Au terme d'un long texte dénonçant les "cabales de dénigrement systématique", la "lecture partisane des faits", les "accusations graves sans contradictoire", et "l'utilisation de sources partisanes", les signataires appellent "la fondation Wikimédia à établir des garde-fous plus efficaces contre les détournements idéologiques de l'encyclopédie".

 

 

 

Cette offensive contre Wikipédia (loin d'être la première) ne tombe pas du ciel. Depuis novembre 2023, Le Point a entrepris une offensive contre l'encyclopédie participative, qui a mobilisé pas moins de sept articles. Principale accusation : l'encyclopédie serait manipulée par des contributeurs anonymes aux visées militantes, s'acharnant sur certaines institutions et certaines personnalités. Ainsi Géraldine Woessner, spécialiste controversée de l'écologie au Point, a été obligée de demander la suppression de sa page.

Sept articles depuis novembre 2023

Titres des articles

A la manoeuvre de cette campagne, deux journalistes de l'hebdomadaire, Erwan Seznec (co-auteur avec Woessner d'un livre, Les illusionnistes, qualifié par Le Point de "livre noir des radicaux verts", et Nora Bussigny, par ailleurs également collaboratrice de Franc-Tireur, hebdomadaire fondé par Denis Olivennes, et co-dirigé par Caroline Fourest (voir notre dossier) et Raphaël Enthoven (tous trois signataires de "l'appel"). Dans différents articles de cette campagne, Le Point a pris la défense de "victimes" de Wikipédia, dont  Fourest, l'éditorialiste du Figaro et chroniqueuse d'Europe 1 Eugénie Bastié, la géographe Sylvie Brunel, ou encore le sociologue Marcel Gauchet. 

Un cap dans les hostilités aurait été franchi le 15 février, rapporte Next, quand Seznec aurait appelé un contributeur de Wikipédia, "FredD", en le menaçant de divulguer sa véritable identité. Menace qui a suscité la publication d'une première pétition, sur la plateforme collaborative, intitulée : non à l'intimidation des contributeurs bénévoles. Réponse du Point, donc, dans cette guerre des signatures : "l'appel" susmentionné.

Dans l'actuelle offensive des trumpistes français contre les médias accusés de progressisme, à chacun sa cible. L'offensive anti-Wikipédia du Point se déroule parallèlement au travail de sape mené dans la même période par les médias Bolloré contre le service public de l'audiovisuel, radios et chaînes de télévision, quasi-quotidiennement accusées, de CNews à Europe 1, en passant par le JDD, de partialité "avec nos impôts". Une cible n'est d'ailleurs pas exclusive de l'autre. Ainsi le directeur du Point, Etienne Gernelle, dans un nouvel éditorial, a fustigé la "déliquescence journalistique à France Culture", station accusée d'avoir relayé la défense de Wikipédia.

une brochette de dignitaires

Reste la liste des signataires de "l'appel". Elle ressemble à une brochette de dignitaires du système médiatico-intellectuel, éditorialistes en vue, hiérarques des rédactions, intellectuels multi-invités, furieux de se voir rappeler dans leurs notices Wikipédia leurs différentes casseroles (connivence, compromissions, contestations, condamnations). Et d'autant plus furieux que ces rappels, dans l'encyclopédie gratuite de référence, sont invariablement sourcés par des citations de médias traditionnels et professionnels. Et donc, n'en déplaise aux signataires, irréfutables.

A noter que leurs notices, comme toutes celles de Wikipédia, s'efforcent à l'exhaustivité (avec toutes les limites d'un travail bénévole). Toutes construites sur le même modèle, elles rappellent la biographie et la carrière ou l'oeuvre des intéressés et, pour beaucoup d'entre elles (pas toutes) rappellent ensuite, soit dans la partie "biographie", soit dans une partie spécifique, leurs différentes casseroles.

Ainsi la notice de l'humoriste de France Inter Sophia Aram (signataire de "l'appel") rappelle qu'elle est accusée, dans ses chroniques , d'épargner Macron et la droite, ainsi que d'avoir déserté le terrain de l'écologie, pourtant un des thèmes principaux du premier Charlie Hebdo (à l'appui, mon propre livre, Le charlisme).

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La notice de la journaliste de LCI Ruth Elkrief (signataire) rappelle sa participation à l'opération Sauver Sarko, sa défense de Pénélope Fillon, ou ses accusations infondées contre des ONG de Gaza, après le 7-Octobre.

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La notice du journaliste de Libération Jean Quatremer (signataire) rappelle qu'il a traité les Gilets jaunes,  dans différents tweets, de "beaufs poujadistes", qu'il est "vraiment temps d'embastiller". Elle rappelle aussi que le service Checknews de Libération avait alors précisé que cette position "ne représentait pas celle du journal".

Quant à la notice de son confrère de Libération Luc Le Vaillant (signataire) elle rappelle pour sa part qu'une de ses chroniques avait été jugée, au sein même de Libération, "raciste et islamophobe". Etc etc.

A la lecture de plusieurs de ces notices, rien n'accrédite l'impression d'un acharnement général de Wikipédia contre les personnalités représentatives de cette "gauche de droite", ou du charlisme. Si certains "bénéficient" de parties critiques très développées, d'autres passent entre les gouttes, voire échappent totalement à toute critique.  Comment en serait-il autrement, dans une entreprise assise, rappelons-le, sur le bénévolat ?

Mais dans le contexte général de capitulation devant la trumpisation de l'air du temps, il faut croire que ces rappels, même fragmentaires, sont insupportables aux  signataires de "l'appel". Wikipédia est-il wokiste ? Plus sûrement, c'est un inépuisable antidote contre l'oubli. Dans un univers médiatique régi par l'amnésie et les indulgences croisées, où une condamnation pénale n'a généralement aucune conséquence sur un harmonieux déroulement de carrière, cette mémoire gravée dans le marbre, inlassablement réitérée, entretient chez les intéressé.e.s une mauvaise conscience insoutenable.

 

 

 

Collé à partir de <https://www.arretsurimages.net/chroniques/obsessions/wikipedia-leur-mauvaise-conscience>