Vous aimez Klee, vous aimerez Berne
La « ville fédérale » suisse abrite de nombreuses œuvres du peintre né à quelques kilomètres de là.
Par Julien Thèves
Publié le 13 avril 2025
Vue sur le palais fédéral, à Berne. BERN WELCOME
Enserrée dans une boucle de l’Aar, quadrillée de rues à arcades et bâtie uniformément de grès vert, la « ville fédérale », où siège le Parlement helvétique, fait songer à la structure d’une abstraction de Paul Klee (1879-1940), né à une dizaine de kilomètres de là, de père allemand et de mère suisse.
Des caves voûtées, que l’on atteint par une volée de marches raides (et où se dissimulent bars et restaurants), confèrent à la ville un aspect cryptique, à l’instar d’œuvres de Klee aux signes mystérieux. Enfant, le petit Paul suit de son crayon les veinures du marbre sur les tables du café-restaurant de son oncle Ernst Frick (1881-1956), aujourd’hui un établissement italien, le Della Casa.
Tiraillé entre le violon et le dessin, le jeune homme se forme aux Beaux-Arts de Munich, fraie avec les avant-gardistes de l’époque (symbolistes, expressionnistes, surréalistes…) et fait carrière en Allemagne. « A Berne, je peux devenir rat de bibliothèque et maître d’école, mais nom de Dieu, pas artiste ! », écrit-il à son père. L’exil sera profitable.
Exposé tant à Berlin qu’à Paris ou à New York, il devra pourtant retourner en Suisse en 1933 à l’avènement du nazisme. Représentant de l’art « dégénéré » (une de ses toiles d’inspiration cubiste est actuellement visible à l’exposition sur ce thème, au Musée Picasso, à Paris, jusqu’au 25 mai), selon l’appellation officielle du régime, il se replie sur son appartement du quartier de l’Elfenau et meurt sept ans plus tard.
Au Kunstmuseum de Berne, qui abrite la collection du mercier Hermann Rupf (1880-1962), client assidu du marchand Daniel-Henry Kahnweiler (1884-1979), on prend une leçon de peinture devant les Klee de petit format, mais si beaux. « Il travaillait un peu comme un jardinier, laissant certaines œuvres longtemps en jachère avant de les reprendre », énonce l’historien d’art Michael Krethlow. Le Luftschloss (« château en Espagne ») de 1922 est comme un tapis parsemé de hiéroglyphes. Kameraden wandern (« camarades en randonnée », 1939) évoque l’art pariétal et Kopf (vor dem Erwachen) (« visage avant le réveil », 1929) pourrait être de Modigliani. « Il avait le génie des titres : Über Wasser [“sur l’eau”, 1933] suggère des insectes graciles marchant sur un étang. » En 2005, une partie de la collection du musée de la ville a été transférée au Zentrum Paul Klee, un bâtiment de Renzo Piano édifié sur les hauteurs de l’agglomération.
Musée contemporain dans la nature
Le bus n° 12 quitte le centre-ville pour gravir la colline et, au loin, les sommets enneigés apparaissent. Les trois cimes de l’horizon bernois ont l’air proches : l’Eiger, le Mönch et la Jungfrau tutoient les 4 000 mètres. Leur sinuosité fait écho à cette ondulation de métal qu’a voulue l’architecte italien pour abriter la plus grande collection de Klee au monde.
Lire aussi (2017) : Article réservé à nos abonnés Exposition : Paul Klee, le triangle et le dromadaire
Quelque 80 œuvres majeures sont exposées au fil d’un parcours chronologique. Un dessin réalisé à l’âge de 11 ans représente Berne dominée par un pont au-dessus de la rivière. Junger Proletarier (« jeune prolétaire », 1919), dans le style expressionniste, est particulièrement émouvant. Klee compose aussi de petites abstractions vibrantes où l’on devine une architecture, des personnages, un paysage… Ses Drei Türme (« trois tours ») de 1923 ne sont telles que parce que l’artiste rompt la symétrie de la grille en figurant des triangles en haut de la toile. Il se veut parfois facétieux. Son Friedhof (« cimetière ») de 1939 avec croix et cyprès devient une tête en basculant à 90 degrés.
A gauche, « Musiker » (« musicien », 1937) de Paul Klee, aquarelle sur papier préparé sur carton 27,8 × 20,3 cm, au Zentrum Paul Klee de Berne. A droite, Paul Klee et sa femme Lily, avec leur chat Bimbo, à Berne, en 1935. ABMT, UNI BASEL, 2005 / ZENTRUM PAUL KLEE, BERN, FEE MEISEL / ZENTRUM PAUL KLEE, BERN
A la fin de sa vie, l’homme s’autorise de plus grands formats. Les couleurs éclatent comme dans ses Riesen-Pflanzen (« plantes géantes ») de 1940. Jusqu’au 1er juin, le Zentrum Paul Klee consacre une partie de son accrochage aux rapports de Klee avec la musique. Ayant épousé la pianiste Lily Stumpf, le peintre cherchait les liens secrets avec les arts plastiques (certaines œuvres évoquent des partitions).
Son gramophone et ses disques sont là, ainsi que des tableaux inspirants : un Musiker (« musicien ») de 1937 semble jouer de la batterie, les mouvements de baguette d’un chef d’orchestre deviennent des Segelschiffe (« bateaux à voile ») en 1927. Paul Klee repose désormais au cimetière de la Schosshalde, juste à côté du musée, avec les Alpes au loin : « Ici-bas, je ne suis guère saisissable, car j’habite aussi bien chez les morts, que chez ceux qui ne sont pas nés encore », dit l’épitaphe.
Kunstmuseum. Hodlerstrasse 8. Tous les jours, sauf le lundi, 24 francs suisses (CHF), soit environ 25,50 €. Kunstmuseumbern.ch
Zentrum Paul Klee. Monument im Fruchtland 3. Tous les jours sauf lundi, 20 CHF. Zpk.org/fr
Restaurant Della Casa. Schauplatzgasse 16. Plats à partir de 30 €. Della-casa.ch