Frédéric Hocquard, adjoint au tourisme à la Mairie de Paris : « Plusieurs signes laissent penser que nous allons vers une saturation, une embolie »

Tout en se félicitant que « l’idée que “Paris est une fête” est de retour », l’élu écologiste met en garde, dans un entretien au « Monde », contre le « toujours plus » en termes de tourisme et appelle à plus de coordination pour mieux réguler le secteur.

 

Propos recueillis par Hélène Bekmezian

07 juillet 2025 à 11h59

 

 

 

Frédéric Hocquard, adjoint (Les Ecologistes) au tourisme à la Mairie de Paris, à Bourges, le 14 mars 2024. PIERRICK DELOBELLE/« LE BERRY RÉPUBLICAIN »/MAXPPP

 

Un peu plus de deux semaines après la Fête de la musique, qui a connu un fort succès populaire mais aussi quelques débordements à Paris, l’adjoint (Les Ecologistes) à la maire chargé du tourisme et de la vie nocturne, Frédéric Hocquard, appelle à ne pas se focaliser sur l’aspect sécuritaire et à penser également « prévention » et « régulation ». Selon lui, la capitale a trouvé un équilibre en termes de flux touristique qui pourrait rompre si le nombre de touristes continue d’augmenter. « Si on continue à vouloir faire toujours plus, on va tuer la poule aux œufs d’or », met-il en garde.

 

A l’occasion de la Fête de la musique, le 21 juin, on vous a reproché cette phrase, « il faut moins de keufs et plus de teuf », qu’avez-vous voulu dire ?

Cette phrase a été sortie de son contexte. Je n’ai jamais été opposé à une présence policière lors d’événements festifs à Paris pour assurer la sécurité. Au contraire. Mais faut-il mettre un policier derrière chaque jeune, comme le réclame l’extrême droite à chaque célébration populaire – que ce soit pour la victoire du PSG ou pour la Fête de la musique ? Comme l’a très bien expliqué [l’anthropologue] Michel Agier dans vos colonnes [le 29 juin], la fête a besoin de conserver une part de transgression, sinon on perdra une partie de son essence. Je dis donc qu’on ne peut pas traiter le sujet qu’en termes policiers, il faut aussi le penser en termes de prévention, de régulation, dans l’espace et dans le temps. Aujourd’hui, tout se concentre en entonnoir sur Paris, il faut décongestionner, sinon on risque l’embolie.

 

Qu’entendez-vous par là ?

Il faut d’abord relativiser la question des débordements. Certes, il y a eu un peu de casse, mais cela a été très fortement médiatisé et déformé par les réseaux sociaux. Ce que l’on observe, d’abord c’est un véritable engouement populaire pour la fête, qui est redevenue un élément central dans l’imaginaire parisien. Et c’est une excellente nouvelle, ça fait dix ans que j’y travaille comme adjoint à la vie nocturne. La fête est un moment de fabrique de commun essentiel pour notre démocratie. L’idée que « Paris est une fête » est de retour. On l’a vu à la Fête de la musique : il y avait beaucoup de monde, y compris des touristes, ce qui est un phénomène nouveau. Mais pour que cela dure, il faut peut-être mieux répartir les espaces festifs, ne pas tout concentrer sur le centre de Paris entre République et Bastille, les étendre à l’échelle métropolitaine et travailler la diversité musicale de ce qui est proposé.

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Par ailleurs, le week-end du 21 juin, Paris a connu un week-end d’événementiel exceptionnel : trois concerts de Beyoncé au Stade de France, la Fête de la musique, le Salon du Bourget… Cela suppose d’anticiper le pic de visiteurs et de se demander quelle est la capacité d’absorption des services publics. Il faudrait également réfléchir à la répartition des événements dans le temps : entre le 1er juin et le 15 juillet, c’est très dense. Or on pourrait organiser les choses à d’autres périodes de l’année, en août, en septembre, en octobre.

D’une manière générale, l’attractivité de la ville est encore plus forte depuis les Jeux olympiques. Mais plusieurs signes laissent penser que nous allons vers une saturation, une embolie. L’un des exemples les plus parlants est celui d’Airbnb : la Ville de Paris a été parmi les premières à s’opposer à l’expansion incontrôlée des meublés touristiques, qui rendent l’accès au logement de plus en plus difficile pour les habitants. Nous avons commencé à agir, par exemple, en prévoyant dans le plan local d’urbanisme bioclimatique l’impossibilité de construire de nouveaux meublés touristiques dans les zones en tension. Autre signe : la surconcentration d’usage de certains lieux touristiques comme le centre-ville, la butte Montmartre, le quartier de la tour Eiffel…

 

Y a-t-il trop de touristes à Paris ?

Je ne dirais pas cela. Par contre, nous avons retrouvé – et même légèrement dépassé – les niveaux d’avant-Covid-19. Aujourd’hui, Paris accueille entre 35 et 40 millions de touristes par an. Au-delà de ce seuil, on risque de rompre l’équilibre, car la ville ne pourra plus absorber ce surplus touristique.

Les prévisions, notamment sur le trafic aérien, indiquent une forte hausse à venir. Il faut donc stabiliser et réguler cette activité : c’est ce qu’on a commencé à faire en réduisant le nombre de billets vendus pour la tour Eiffel ou en mettant en place des réservations pour visiter Notre-Dame. Nous aurions aussi souhaité interdire les autocars de tourisme dans la zone à trafic limité du centre-ville mais cela a été refusé par le ministère des transports. Il faudra peut-être réfléchir à d’autres mesures, en lien avec les professionnels.

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Le tourisme est une activité extrêmement importante à Paris, qui constitue 15 % de l’emploi. Mais si on continue à vouloir faire toujours plus, on va tuer la poule aux œufs d’or. Aujourd’hui, il faut plutôt travailler la qualité que la quantité et se dire que « mieux vaut moins mais mieux ». Si on franchit un cap supplémentaire, nous connaîtrons les mêmes effets qu’à Barcelone ou Amsterdam, avec des habitants qui rejettent le tourisme. Et ce n’est pas qu’une problématique parisienne : on voit les mêmes tensions à Venise, à Dubrovnik, dans les calanques de Marseille, dans certaines vallées du Pays basque…

 

Quelle est la responsabilité de la Ville, de la région, de la préfecture et du gouvernement ? Comment organiser la coordination entre les acteurs ?

A Paris, les compétences sont enchevêtrées. Il y a des choses qui fonctionnent déjà très bien, comme le renforcement des contrôles des autocars de tourisme qui se garent mal, en coordination entre la police municipale et la police nationale.

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Il y a bien sûr une responsabilité de la Ville. En début de mandature, nous avons commencé la transition vers le tourisme durable : par exemple, nous sommes passés de zéro hôtel capable d’accueillir du cyclotourisme en 2020 à 25 aujourd’hui. Après le confinement de 2020, notre priorité était de relancer une économie à l’arrêt : nous avons autorisé les terrasses éphémères sans limite de taille, ce qui a sauvé de nombreux bars et restaurants parisiens. Puis, en 2022, nous avons réduit la voilure en supprimant 70 % des terrasses éphémères parce qu’il a fallu réguler. En 2023-2024, nous sommes revenus aux chiffres de fréquentation d’avant-Covid et en 2025, nous commençons à les dépasser. Il est donc temps de stabiliser et de réguler.

Enfin, il y a une discussion à avoir avec Aéroports de Paris pour aller tendre à la baisse du nombre de créneaux d’atterrissage comme nous le réclamons dans le plan climat, tout en développant les transports ferroviaires. En 2014, Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, a fixé un objectif de 100 millions de touristes étrangers par an en France. En 2024, ce seuil a été dépassé. Faut-il continuer vers 110, 120, 130 millions ? Il y a peut-être des territoires en France qui veulent accueillir plus de touristes, et c’est tout à fait possible, mais pour ce qui concerne Paris, notre objectif n’est plus celui-là. Il s’agit désormais de faire mieux, pas davantage.