Charlotte Perriand, une affaire de famille : « Juste après sa mort, j’ai compris qu’un artiste disparu est une sorte de bébé dont il faut s’occuper. Sinon son œuvre disparaît à son tour »
Par Pascale Nivelle 20 juillet 2025
Ils ont un lien de parenté avec l’artiste, ont été son ami, son collaborateur ou son amant… Et ils deviennent son ayant droit. Depuis la disparition de l’architecte et designer Charlotte Perriand, en 1999, sa postérité est entre les mains dévouées de sa fille et de son gendre. Leur labeur méticuleux a largement contribué à hisser la prolifique « Charlotte » au rang d’icône du design.
On pourrait imaginer la fille de Charlotte Perriand alanguie dans la célèbre chaise longue dessinée par sa mère en 1928, bercée par le flot continu des royalties. Mais c’est une femme affairée qui reçoit dans l’ancien atelier parisien de la designer, devenu, après la mort de celle-ci, en 1999, son bureau. Pernette Perriand-Barsac, 80 ans, regard bleu vif, cheveux courts et baskets immaculées, dégage une certaine autorité.
Derrière elle, la dépassant d’une tête, son mari et compagnon de travail, Jacques Barsac, 73 ans, volubile et aimable. Par pure modestie, il se présente comme le « grouillot » de leur petite entreprise informelle, vouée au patrimoine de Charlotte Perriand. Auteur d’une dizaine d’ouvrages sur son œuvre, dont un catalogue raisonné en quatre volumes (Norma, 2015, 2017, 2019), Jacques Barsac est un bourreau de travail. Et le meilleur connaisseur de « Charlotte », comme sa femme et lui l’appellent familièrement.
Dans le milieu du design, ils sont « Pernette et Jacques », connus pour leur détermination. Depuis vingt ans, ces ayants droit ultra-sollicités gèrent de main de maître la postérité de leur mère et belle-mère. Rien de ce qui se dit, s’écrit ou se produit sur Charlotte Perriand n’échappe à leur œil. « Ils contrôlent », témoigne un salarié de la Fondation Louis Vuitton qui les a vus au travail lors de la grande rétrospective « Le Nouveau Monde de Charlotte Perriand » (dont Jacques Barsac était cocommissaire), en 2019.
« J’étais toujours là pour elle »
Accueillant, sur tous les étages du bâtiment de Frank Gehry, des objets, des meubles, des reconstitutions d’espaces – dont la Maison au bord de l’eau ou le refuge Tonneau –, des tableaux de Fernand Léger ou de Pablo Picasso, cette exposition monumentale avait attiré 450 000 visiteurs, dépassant toutes les attentes. Les Perriand-Barsac avaient supervisé chaque détail. « Leur engagement m’a plus que touché et impressionné, se souvient Jean-Paul Claverie, proche conseiller de Bernard Arnault pour la culture. Ils étaient habités par un sentiment d’urgence à faire vivre l’esprit de Charlotte ». Ils auraient pu livrer l’exposition clé en main tant ils connaissaient leur sujet.
« On était prêts, explique le couple, cela faisait longtemps qu’on rêvait d’un grand événement à l’occasion de l’anniversaire des 20 ans de la mort de Charlotte. » Ce fut un tournant pour les héritiers, investis à plein temps dans leur mission. « Les journalistes et le grand public connaissaient ses meubles, ils ont découvert Charlotte dans tous ses aspects, artistique, sportif, politique, féministe », souligne sa fille. Après ce coup de maître, le nom de Charlotte Perriand désormais gravé dans le marbre, ils auraient pu souffler. Mais ils avaient déjà fait leur métier de cet héritage et la tâche restait immense.
Jacques Barsac, Pernette Perriand-Barsac et leur fille, Tessa Barsac, dans l’atelier de la designer. ROMAIN COURTEMANCHE POUR « M LE MAGAZINE DU MONDE ». ADAGP, PARIS, 2025
Rien n’était écrit. Pernette aurait pu devenir acrobate ou petit rat à l’Opéra de Paris, des rêves de petite fille. Mais elle a été happée par la tornade « Charlotte ». A l’âge de 14 ans, elle s’est entendu dire par sa mère : « Danseuse, c’est niet. A 40 ans, une danseuse, c’est fini ! Fais autre chose. » Née en Indochine, fille d’un diplomate, Jacques Martin, Pernette a suivi la voie maternelle. Elle est devenue architecte et décoratrice d’intérieur, formée sur le tas par Charlotte Perriand et ses amis, Jean Prouvé, Pierre Jeanneret ou Fernand Léger. Elle a ensuite secondé sa mère, restée en activité jusqu’à 85 ans passés, jusqu’à son dernier et grandiose chantier, la station de ski des Arcs, en Savoie.
« J’avais mes propres projets, mais j’étais toujours là pour elle », précise-t-elle, un peu contrariée d’être toujours restée dans son ombre. « Personne ne sait, par exemple, que c’est moi qui ai trouvé la fameuse chaise en cuir Les Arcs, qui est attribuée à Charlotte Perriand par tous les marchands, raconte-t-elle. Exténuée par le chantier de la station de ski, elle n’avait ni le temps ni l’argent de concevoir une nouvelle chaise. Elle m’a envoyée dans les salons du meuble en trouver une et je suis revenue avec cette pièce qui a équipé tous les appartements des Arcs. »
« Ma vie allait basculer »
Jacques Barsac est tombé dans le chaudron à la trentaine, le jour où il a croisé Charlotte Perriand. En 1984, jeune réalisateur de documentaires sur l’art et l’histoire, il a demandé à interviewer la designer pour un film commandé par Antenne 2 (devenu France 2). « Voyez avec ma fille », l’a-t-elle expédié. Un peu plus tard, il épousait Pernette. Et petit à petit, il a lâché sa carrière pour se consacrer à plein temps à sa belle-mère, à partir de 2002.
« Je n’imaginais pas que ma vie allait basculer à ce point », s’amuse-t-il. Tout en entamant l’anthologie de son œuvre, il a bataillé pour convaincre Charlotte Perriand d’écrire ses Mémoires. « Le passé, je m’en fous », disait-elle, rechignant à s’y mettre. « A partir de 1985, on l’a tannée pendant des années, se souvient Jacques Barsac. Elle remplissait deux pages à la main et passait à autre chose, j’étais son secrétaire. »
Pernette Perriand-Barsac dans les archives de sa mère. ROMAIN COURTEMANCHE POUR « M LE MAGAZINE DU MONDE ». ADAGP, PARIS, 2025
Une vie de création, 430 pages écrites au fil de la plume, paru un an avant sa mort chez Odile Jacob, ne contient pas toute la vie de Charlotte Perriand. Cette optimiste impénitente ignorait les difficultés et les échecs. « Si je parle des choses qui m’ont blessée, je deviendrai aigrie », expliquait-elle à sa fille. Sa rupture brutale avec Le Corbusier en 1937, par exemple, tient en trois lignes dans son livre « bourré de trous », selon Pernette et Jacques.
Ceux-ci respectent ses silences, et la légende qu’elle aimait entendre d’une Charlotte Perriand toujours conquérante et rayonnante, jamais triste ou abattue. Par exemple, Pernette a imposé sans discussion possible l’affiche de l’exposition de 2019, avec une photo devenue emblématique depuis. De dos, torse nu, Charlotte Perriand brandit ses moufles dans le V de la victoire, devant un magnifique paysage de montagnes enneigées. « Un coup de génie », salue Jean-Paul Claverie. Personne en revanche n’a jamais vu l’image qui la précède sur les négatifs, où elle apparaît assise, fatiguée après une longue course en montagne.
Ils ont appris en marchant
Avec le temps, grâce au travail de valorisation mené par sa fille et son gendre, Charlotte Perriand est devenue une icône. Plutôt dure à cuire et pas forcément tendre avec ses congénères, elle est un modèle pour les féministes. Et les jeunes architectes ou décorateurs, nourris de conférences et de livres, continuent d’admirer son « art d’habiter », fascinant de modernité. Gardiens du temple, les Perriand-Barsac ont rétabli quelques vérités historiques, notamment son rôle dans l’agence de Le Corbusier, réparant les injustices souvent faites aux femmes créatrices dans l’histoire. Habités par leur mission, liés par un testament affectif, ils continuent d’écrire le mythe.
Quand elle s’est sentie partir, en octobre 1999, Charlotte Perriand a glissé à sa fille : « Occupe-toi de tout. » Jacques Barsac était là. « Juste après sa mort, j’ai compris qu’un artiste disparu est une sorte de bébé dont il faut s’occuper, raconte-t-il. Sinon son œuvre disparaît à son tour. » Ils se sont lancés dans leur course contre l’oubli. « Vous en avez pour quinze ans, les a avertis un ami galeriste, le temps qu’il faut pour qu’un artiste trouve sa place dans l’histoire de l’art. » Le délai est largement dépassé.
Pernette Perriand-Barsac, dans l’atelier de sa mère, Charlotte Perriand, à Paris. ROMAIN COURTEMANCHE POUR « M LE MAGAZINE DU MONDE ». ADAGP, PARIS, 2025
Le boulot a commencé en 2000. Seule femme designer de sa génération, farouchement indépendante, Charlotte Perriand se battait pour exister entre les monstres sacrés de son époque, Le Corbusier ou Jean Prouvé. Très vite, ses héritiers ont dû montrer les dents à leur tour contre tous ceux qui convoitaient son œuvre. « On sait boxer, glisse Barsac, mais il faut avoir les reins solides. »
Procédures, contrats, ils ont appris en marchant. Il a aussi fallu classer, numériser les milliers de dessins, plans et photos entreposés dans l’atelier du 7e arrondissement. Et répondre aux demandes des éditeurs, surveiller les publications, négocier les contrats, pister les contrefaçons, préparer les procès, gérer les droits d’auteur pour les photos, les meubles, les tapis, les coussins… Ils se sont partagé la tâche : à Pernette la gestion, à son mari la partie historique. « J’ai pris six mois de congé sabbatique, puis un an, et j’y suis toujours », observe celui-ci.
Un puits sans fond
Très soucieuse de sa postérité, Charlotte Perriand avait laissé son œuvre en ordre, mais c’est un puits sans fond. « Je me dis souvent que cet héritage est un cadeau empoisonné », sourit Pernette Perriand. Son époux évoque en blaguant « un travail de moine ». Outre son anthologie, il a publié Charlotte Perriand et le Japon (Norma, 2008), Charlotte Perriand et la photographie (5 Continents Editions, 2011), Charlotte Perriand, une architecte en montagne (Norma, 2023). Les Perriand-Barsac ont sur le feu une rétrospective à Krefeld, en Allemagne, en novembre, une exposition à la Fondation Joan-Miró à Barcelone l’an prochain, ainsi que « Cinquante photos de Charlotte Perriand en montagne », exposition prévue en mars 2026 au Musée de Grenoble.
A leurs heures jamais perdues, ils continuent de concocter de nouveaux projets : un meuble ou un tapis inédit à réaliser, une conférence thématique, un livre, une exposition… Un dossier « Charlotte Perriand et la nature », prêt à l’emploi, attend depuis des années de trouver preneur, éditeur ou directeur de musée.
Un autre volume, « Charlotte Perriand et l’art brut », est en gestation. « Pour ne pas déstructurer l’œuvre », ils s’interdisent de vendre les pièces d’archives ou les tirages de photos originaux. Mais ils sont à la disposition de ceux qui proposent un projet, s’il leur convient. « On écoute la personne, on fait la sélection et on propose, c’est notre technique », expliquent-ils. « II est possible que nous n’arrêtions jamais », soupire Jacques Barsac.
Les contrefaçons, son cauchemar
Entretenir la flamme, c’est accepter que Charlotte occupe toute leur vie. Ils habitent son ancien appartement parisien, dans ses meubles. Chaque jour, ils travaillent coude à coude dans l’atelier occupé pendant quarante ans par l’artiste. Rien n’a bougé depuis sa mort. Ses cailloux et ses branchages rapportés du monde entier, les tubes multicolores où elle enroulait ses archives, la maquette d’une table baptisée « Mille-Feuilles », savante superposition d’essences de bois jamais réalisée de son vivant… toutes les choses sont encore là où l’ancienne propriétaire les avait placées. Quand ils ne sont pas ailleurs dans le monde pour un quelconque événement Perriand, ils passent leurs vacances dans son chalet de Méribel, qu’ils ont réussi à faire classer monument historique il y a une dizaine d’années.
Exigeante sur les moindres détails, Pernette ne laisse rien passer. Les contrefaçons sont son cauchemar. « Elle a l’œil sur tout, note son avocat, Dominique de Leusse de Syon, qui a défendu les intérêts de la mère avant ceux de la fille. Il peut lui arriver de m’appeler d’une boutique au Portugal où elle a repéré une poterie copiée. Elle voudrait se battre sur tous les fronts, mais c’est impossible. » Aux yeux des Perriand-Barsac, la pérennité de l’œuvre passe avant les royalties, affirme-t-il. Leurs revenus sont assurés par Cassina, l’éditeur historique des meubles Perriand. « Ce n’est pas une manne mirobolante, comme celle dont peuvent profiter des héritiers de grands peintres », souligne l’avocat.
Pernette Perriand perçoit aussi des droits d’auteur sur les photos, par l’intermédiaire de l’ADAGP. Mais ne bénéficie pas du droit de suite, privilège réservé aux héritiers d’artistes et auteurs d’œuvres non duplicables. Quand un meuble s’envole aux enchères, comme cette bibliothèque dite Maison de la Tunisie, de 1952, partie à 511 500 euros chez Artcurial en 2017, un record, son héritière ne touche rien. En revanche, les répliques du tabouret de vacher, qu’on s’arrache en Chine et à Los Angeles, sont d’un bon rapport. « Un reblochon sur trois pieds », avait plaisanté Charlotte Perriand en présentant le mobilier de la station de ski des Arcs, dans les années 1960.
« De précieux ambassadeurs »
La créatrice n’a pas connu la « Perriandmania » qui s’est emparée du monde du design depuis une quinzaine d’années. « Chaque année, on constate un intérêt grandissant pour son œuvre », assure Luca Fuso, directeur général de Cassina. Elle ouvrirait des yeux ronds comme des soucoupes devant le nombre de ses chaises longues tubulaires en circulation dans le monde. Des milliers ? La maison Cassina ne communique pas les chiffres. C’est peut-être cent fois plus, sans compter les innombrables contrefaçons.
Du temps où Charlotte Perriand dessinait des meubles pour Le Corbusier, dans les années 1920, cette lounge chair s’appelait « chaise longue à réglage continu » et moins de 200 exemplaires furent vendus en une décennie. Rebaptisée « LC4 », comme Le Corbusier, après la guerre, elle est aujourd’hui gravée du nom de sa véritable autrice. Un combat remporté au terme d’un bras de fer de plusieurs années avec les ayants droit de l’architecte suisse. Depuis, sa chaise et d’autres meubles LC, pour lesquels Jacques Barsac et Pernette Perriand ont mené cette même bataille, se vendent comme des petits pains.
Une chaise tripode en frêne signée Charlotte Perriand. ROMAIN COURTEMANCHE POUR « M LE MAGAZINE DU MONDE ». ADAGP, PARIS, 2025
La force commerciale de la célèbre marque italienne et celle des marchands qui s’arrachent les pièces d’époque sont pour beaucoup dans le succès actuel de la designer. Mais Luca Fuso rend aussi hommage à l’engagement de Pernette et de son mari. Si Charlotte Perriand occupe une place en majesté dans le catalogue Cassina, à côté des grands noms du XXe siècle, de Gio Ponti à Charles et Ray Eames, c’est grâce à eux, assure-t-il : « Ils vivent et respirent dans le monde de Charlotte Perriand, et ont une connaissance parfaite de son œuvre et de sa vie. Je connais peu d’ayants droit qui ont leur compétence et leur capacité de travail. »
Chaque année, ces derniers proposent des plans de meubles inédits (dont deux seront présentés au Salon du meuble de Milan en 2026) et donnent des conférences dans le monde entier. « Ce sont de précieux ambassadeurs, assure le directeur de Cassina. Ils créent une dynamique et une proximité importantes avec le public. »
Offrir le beau en partage
Charlotte Perriand, jamais encartée mais compagne de route du Parti communiste, avait le luxe en horreur. Elle travaillait pour le plus grand nombre, rêvant d’offrir le beau en partage. « Mais elle ne boudait pas non plus la reconnaissance et le succès, quand cela arrivait », précise sa fille. Depuis l’exposition à la Fondation Louis Vuitton, le monde du luxe est « devenu incontournable », selon Pernette et Jacques. Au printemps 2025, quatre meubles de haute facture signés Perriand et Yves Saint Laurent sont apparus au Salon du meuble de Milan.
Dans l’esprit du couturier et de son compagnon, Pierre Bergé (actionnaire du Groupe Le Monde de 2010 à sa disparition, en 2017), qui adoraient Perriand, Anthony Vaccarello, le directeur artistique de la maison, se passionne pour la designer. Après un livre de photos, Charlotte Perriand, voyage dans les archives (SL Editions, 2025), il a réédité quatre meubles rares. Une bibliothèque Rio de Janeiro, jusque-là pièce unique fabriquée pour un appartement de fonction de la compagnie Air France au Brésil ; une longue banquette conçue pour l’ambassade du Japon a Paris ; un fauteuil en tube édité au Japon en peu d’exemplaires ; et la fameuse table Mille-Feuilles, trop chère et trop complexe à fabriquer du temps de Charlotte Perriand.
Le journal brésilien « O Cruseiro » du 16 octobre 1965, avec Charlotte Perriand (à droite) et sa fille, Pernette, dans leur appartement de Rio de Janeiro, ainsi que sa bibliothèque Rio de Janeiro. ROMAIN COURTEMANCHE POUR « M LE MAGAZINE DU MONDE ». ADAGP, PARIS, 2025
Le prix de ces merveilles, produites entre quatre et trente exemplaires chacune et diffusées par la galerie parisienne Patrick Seguin, est un secret d’Etat. Mais les quatre prototypes devront rester disponibles pour les expositions, ont exigé Pernette et Jacques. A leur habitude, ils ont suivi l’affaire de près. « Ils ont fait le contrat et je me suis occupé des virgules », sourit leur avocat, Dominique de Leusse de Syon. Ce spécialiste des successions artistiques salue la performance : « La plupart du temps, les ayants droit n’y connaissent rien. Quand ils ne se déchirent pas entre eux, ils se laissent porter et sont des proies, observe-t-il. Les Perriand-Barsac, eux, réussissent à garder le contrôle et à faire vivre l’œuvre et la mémoire. »
Une lignée de filles déterminées
Pernette Perriand-Barsac, outre qu’elle est demeurée fille unique, a hérité du caractère trempé de sa mère, un gène familial. De Victorine Denis, mère de Charlotte et ambitieuse couturière pour les grandes maisons, à Tessa Barsac, fille de Pernette, c’est une lignée de filles uniques et déterminées.
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Tessa avait 14 ans quand Charlotte est morte. « Je la vois encore chanter des chansons paillardes à tue-tête et raconter ses aventures en montagne dans son chalet de Méribel, se souvient-elle. A 90 ans, elle était si dynamique qu’elle transcendait toute notion d’âge et de temps. » A 40 ans aujourd’hui, devenue juriste spécialisée dans les relations internationales à Paris, Tessa Barsac ne s’appelle plus Perriand. Célibataire, elle vit sa propre vie et ne veut pas d’enfants. En attendant de poser dans l’endroit qu’elle se choisira sa très belle bibliothèque – « le seul meuble que ma grand-mère m’a donné » –, elle préfère « vivre avec ses valises », retardant le jour où il faudra s’intéresser à l’héritage.
« Jusqu’à maintenant, je me suis sentie révolutionnaire, confie Tessa Barsac, mais pas du tout héritière, sinon des convictions de Charlotte. » Ses parents font paravent et évoquent rarement l’avenir avec elle. Pernette se donne quelques années encore pour suivre la dernière injonction de Charlotte : léguer les archives à une institution, une université ou une bibliothèque, pour transmettre l’esprit Perriand aux futures générations de chercheurs et d’architectes. « Tout ce qui l’intéressait, assure-t-elle, c’était d’imaginer dans quelle architecture la jeunesse vivrait au XXIe siècle. » Le tour de Tessa viendra plus tard, dit sa mère. « Quand Jacques et moi, on aura fini le boulot. »