La plus grande statue de prostituée au monde, par Niki de Saint Phalle
En 1966, à Stockholm, 100 000 visiteurs entrent par le sexe de cette œuvre monumentale. Rencontre avec Hon, la plus grande Nana de Niki de Saint Phalle.
7 août 2025
La plus grande Nana de Niki de Saint Phalle
Vingt-trois mètres de longueur, 6 mètres de hauteur, 6 tonnes, 100 000 visiteurs en trois mois : Hon est la statue de tous les records. Signifiant « Elle » en suédois, cette œuvre est commandée par Ponthus Hulten, directeur du Moderna Museet de Stockholm en 1966, qui nourrit le désir d'une statue monumentale éphémère pour l'été. Niki de Saint Phalle, Jean Tinguely (son mari) et l'artiste finlandais Olof Ultvedt veulent concevoir une grande pièce de pop art européenne, en rupture avec celles observées aux États-Unis. Après maintes réflexions et une première proposition de théâtre mécanique par Jean Tinguely, les quatre esthètes misent sur une pièce pensée comme une cathédrale. Finalement, c'est le modèle des Nanas de Niki de Saint Phalle qui est retenu. En version allongée, enceinte et les jambes écartées, cette immense femme enceinte est pensée pour s'offrir aux visiteurs via son sexe.
La statue Hon, exposée au Moderna Museet de Stockholm entre juin et août 1966. Gai Terrell/Getty Images
Le concept est osé, mais le groupe d'artistes se lance dans la fabrication de Hon dans le plus grand secret. « Il n'y avait rien de pornographique dans la Hon même si l'on y entrait par son sexe, explique Niki de Saint Phalle à l'époque. Pontus savait qu'avec cette vaste dame il s'embarquait pour une aventure périlleuse. Aussi décida-t-il de garder secret tout le projet. Autrement les autorités auraient pu mal interpréter les rumeurs et interdire l'exposition avant son ouverture. Nous dûmes construire un écran géant derrière lequel nous travaillions. Personne n'était autorisé à voir ce que nous faisions ».
Niki de Saint Phalle devant la version réduite de son œuvre. Keystone/Getty Images
La folle série des Nanas
Hon n'est pas la première Nana de Niki de Saint Phalle. La première, Gwendoline, voit le jour au début des années 1960, avant de laisser place à une longue lignée de sculptures féminines qui jalonneront la carrière de l'artiste franco-américaine, née en 1930 à Paris. Ces statues plantureuses, comme des poupées aux grosses poitrines et grosses fesses, sont, chacune, nommées d'après les proches de la créatrice : Elizabeth, sa sœur, Clarisse, son amie… Elles représentent à la fois l'univers de la sculptrice, dont la nourrice s'appelait Nana, et se teintent de revendications politiques. Imaginées dans le contexte féministe des années 1960, ces silhouettes incarnent une féminité différente, en opposition avec les diktats corporels en vigueur ; le terme ancien « nana » désignant, aussi, les prostituées. On les retrouve, aujourd'hui, aux quatre coins du monde, de Nice à Hanovre, de Stockholm à New York.
Une Nana noire de Niki de Saint Phalle exposée en Allemagne. picture alliance/Getty Images
Le montage de l'immense Hon
Retour à Hon, qui occupe l'équipe de Niki de Saint Phalle pendant tout juste six semaines, après en avoir imaginé une version miniature comme modèle. L'artiste décrit le processus : « Jean, qui était capable de mesurer à l'œil, réussit à agrandir le modèle en une carcasse de fer qui était l'exacte réplique de l'original. Une fois que le châssis fut soudé, une immense surface de grillage fut soudée pour former le corps de la Déesse. Sur les petits réchauds électriques, je faisais cuire dans d'énormes marmites des masses de colle de peau de lapin puante. Des mètres de tissu furent mélangés à la colle, puis disposés sur le squelette en métal. Plusieurs couches furent nécessaires pour cacher le support(…). Quand les toiles furent séchées et bien collées, nous avons peint en blanc le corps de la déesse ». La contrainte de temps imposée par Ponthus Hulten les pousse à travailler 16 heures par jour pour livrer la statue à temps.
Niki de Saint Phalle et Jean Tinguely dans leur atelier, à Paris, en 1967. Keystone-France/Getty Images
Vie et mort de Hon
En juin 1966, les visiteurs découvrent Hon à Stockholm. Ils entrent dans la statue à travers son sexe, qui les mène droit dans un labyrinthe géant, suivi d'un bar logé dans sa poitrine, un planétarium dans le sein droit, un toboggan dans la jambe droite, une galerie de faux tableaux de Paul Klee, Jackson Pollock… Sur le ventre de la Nana, des escaliers emmènent sur une terrasse offrant la vue sur les spectateurs au sol. « Je peignis la Hon comme un œuf de Pâques avec les couleurs pures et très vives que j'ai toujours utilisées et aimées, confie Niki de Saint Phalle. Ce fut une incroyable expérience de création ».
L'œuvre rencontre un franc succès, marqué par 100 000 visites en trois mois ; Hon est surnommée « la plus grande putain du monde ». Elle est détruite plus vite qu'elle n'a été conçue : en trois jours. Sa décomposition, rapide et violente, est documentée par un film, dans l'objectif de dénoncer la misogynie. Sa première maquette est toujours visible au Moderna Museet de Stockholm.
La version réduite de Hon, exposée à Stockholm. Gai Terrell/Getty Images
Collé à partir de <https://www.admagazine.fr/article/statue-prostituee-niki-de-saint-phalle>