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Dimanche 15 Février 2009

Le dilemme des békés

Par Anne-Laure BARRET
Le Journal du Dimanche
>> Aux Antilles, chez les descendants des colons blancs, certains veulent sortir de leur splendide isolement. Les "békés" représentent 1% de la population totale, concentrent le pouvoir économique et trustent les emplois de cadres dans l'import-export ou la grande distribution... quand les Antillais noirs ou métis peinent à joindre les deux bouts. Ces dernières semaines, la tension est montée d'un cran.

C'était il y a deux semaines dans la zone portuaire de Pointe-à- Pitre. A l'approche d'un hors-bord, Frédéric, un quadra métissé, fait une moue préventive. "Je suis certain qu'il ne me saluera pas en passant. Les békés sont comme ça. Ils vivent entre eux dans leurs belles villas, en faisant comme si on n'était pas là." Pari perdu. Le pilote lance un bonjour poli à Frédéric, planté devant la mer turquoise. "Bon, d'accord, certains békés font des efforts pour s'intégrer mais ce n'est pas la majorité." Ça commence souvent par le regard. Blancs békés, descendants des colons français, et Antillais noirs ou métis, descendants d'esclaves, se croisent sans se voir.

Les premiers, 1% de la population totale, concentrent le pouvoir économique et trustent les emplois de cadres dans l'import- export ou la grande distribution. Ils ont l'oreille des politiques locaux et de puissants réseaux. Les seconds, souvent cantonnés aux emplois subalternes, peinent à joindre les deux bouts et se désolent des privilèges d'une "caste" blanche. Rien de neuf sous un soleil antillais plombé par le legs historique de la traite... Jusqu'à ces dernières semaines.

Des propos racistes

Est-ce une stratégie inédite ou le recyclage de slogans ancestraux? Le combat du collectif LKP (Liyannaj kont pwofitasyon) contre la vie chère se double d'une harangue anti-békés. Dans ce climat brûlant, la diffusion sur Canal+ d'un documentaire, Les Derniers Maîtres de la Martinique, dans lequel le patriarche béké Alain Huygues-Despointes expliquait que l'esclavage n'avait pas eu que des mauvais côtés, a attisé la colère. "Cela fait des années que je dénonce l'apartheid béké et personne ne m'entend, rage l'écrivain Patrick Chamoiseau. Il a fallu le regard extérieur d'un journaliste de métropole pour que nous prenions conscience de nous-mêmes. Mais je crois que grâce à ce film, paradoxalement, nous pouvons nous rapprocher."

C'est aussi l'avis de l'auteur du documentaire, Romain Bolzinger: "J'ai rencontré des békés pleins de morgue qui exaltent la pureté de leur arbre généalogique mais j'ai aussi eu le sentiment qu'ils avaient envie de sortir de leur silence, de leurs prisons dorées." La preuve? Un descendant d'une grande famille béké, José Hayot, s'est désolidarisé d'Alain Huygues-Despointes: "J'ai vu des postures et des comportements d'un autre âge dans lesquels je ne me reconnais en aucune manière, écrit Hayot. L'indignation et la colère sont non seulement justes et légitimes mais nécessaires et bienfaisantes. Je les éprouve. Je les partage et les soutiens au plus haut point, et sans aucune réserve". Dans la vie, Hayot le béké et Chamoiseau le créole sont amis.

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